18 ! C’est le nombre d’années qu’il aura fallu attendre pour que Shenmue 2 (Sega Dreamcast) ait enfin une suite. Autant vous dire que ce nouvel opus, Shenmue 3, était très attendu !

La suite que l’on n’attendait plus !

Shenmue est un nom qui ne parlera pas forcément aux plus jeunes d’entre vous. Mais si vous avez connu l’ère de la Dreamcast, dernière console fabriquée par Sega, alors vous devez sentir la nostalgie vous prendre aux tripes. Sans doute l’un des meilleurs jeux de Sega, un véritable mythe du jeu vidéo !

Mais Shenmue est aussi un jeu qui laisse en bouche ce petit goût d’inachevé. En effet, les fans n’auront jamais connu la fin de l’histoire, puisqu’elle s’est subitement arrêtée après deux épisodes et 11 chapitres.

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Les deux premiers opus, signés Yu Suzuki (qui imaginait initialement un spin-off de Virtua Fighter, orienté aventure/RPG) et l’équipe Sega AM2, ont fait en leur temps figure de série de jeux vidéo la plus coûteuse. Car le développement aura coûté 23 millions d’euros, ce qui a d’ailleurs valu à cette série d’entrer dans le livre des records. Hélas, malgré son relatif succès auprès d’une communauté de fans qui s’est consolidée avec le temps, elle est considérée comme un échec commercial par Sega, qui n’en développera jamais la suite.

Mais c’était sans compter sur la persévérance de Yu Suzuki qui, soucieux de répondre à l’énorme attente des fans, relançait en 2015 la production de Shenmue III. Son financement était assuré par une campagne Kickstarter réussie : 1 million de dollars récoltés en 102 minutes, 6,33 millions à la fin de la campagne, un mois plus tard. Et en 2017, Deep Silver s’associait au projet, en devenant éditeur du jeu.

Welcome to China

Il aura donc fallu attendre 18 années pour connaître la suite du périple de Ryo Hazuki et Shenhua. Initialement annoncé pour décembre 2017, il aura connu de multiples reports. Mais il est enfin là !

Le jeu reprend l’histoire là où il l’avait laissée à la fin de Shenmue II. Dans le premier opus, Ryo voyait Shenhua en rêve, et il la rencontrait dans le second volet. Ce troisième épisode débute donc en Chine, dans cette fameuse grotte dont vous vous souvenez sans doute si vous avez joué à Shenmue II (dont je viens de vous spoiler la fin si ce n’est pas le cas).

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Ryo et Shenhua rejoignent donc le cadre de cette nouvelle aventure, le village natal de la jeune femme, perdu dans la campagne chinoise, au pied des montagnes. Ryo est toujours à la poursuite de l’assassin de son père, Lan-Di. Mais pour l’heure, leur préoccupation sera de retrouver le père de la jeune femme. Il est sans doute celui qui pourra leur apporter des explications sur les fameux Miroirs du Phénix et du Dragon, artefacts sur lesquels Lan-Di aimerait mettre la main, lui aussi…

Dans l’ensemble, le scénario est plutôt agréable à suivre, malgré quelques lacunes d’écriture (certains dialogues mal écrits, des incohérences dans la narration). Comptez une grosse trentaine d’heures pour voir la fin du récit, en ligne droite. Mais le jeu étant pensé pour avoir une suite, ne vous attendez pas à trouver ici une fin… Mais juste une ouverture vers une autre aventure. Que l’on espère voir venir avant 18 ans 😉

Une technique qui donne dans le rétro-gaming

Pour vous parler de la réalisation du jeu, et plus que dans n’importe quel autre test, je vais devoir insister lourdement sur la distinction entre les décors (et la direction artistique), et les personnages (et l’animation). Pour les premiers, les images qui illustrent ce test parlent d’elles-mêmes. Les décors sont tout simplement magnifiques ! Associés avec une superbe bande-son et des jeux de lumières maîtrisés, ils nous transportent véritablement dans la Chine rurale ! Shenmue III est un voyage, qui nous pousse à la contemplation ! Et la remarque vaut aussi pour la majorité des cinématiques, de toute beauté. L’Unreal Engine 4 fonctionne à merveille…

Mais (car il y a un mais), il y a aussi les personnages, Ryo, Shenhua, et tous les PNJ ! Et là, ce n’est plus la même musique ! On pourrait même croire par moments que ce n’est plus, non plus, le même jeu. Les personnages sont hyper-rigides, avec des animations qui semblent dater d’il y a dix ans (voire plus pour la technique du champ/contrechamp tout droit sortie des années 90, dont abuse le jeu lors des dialogues). Pire encore, le manque quasi-total d’expressions faciales, ne font passer aucune émotion. Autrement dit, les émotions ressenties par les joueurs, ce sont les paysages et les musiques qui s’en chargent. Un comble pour un jeu censé être d’émouvantes retrouvailles entre des personnages emblématiques du jeu vidéo et leurs fans !

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Shenmue III nous a été présenté comme un jeu en monde semi-ouvert, vous offrant beaucoup de libertés. Oui mais… Pas vraiment. Et au fur et à mesure que vous progresserez, vous réaliserez que cet apparent openworld est en réalité très balisé. Et je ne parle pas ici des zones inaccessibles à un moment donné de l’histoire. Un peu partout dans la zone de jeu, vous trouverez des chemins rendus inaccessibles de manière incohérente par des éléments du décor. Des fleurs qui vous empêchent de passer, une barrière vous arrivant à la cheville qui vous oblige à faire un détour ? Je me répète mais, une fois encore, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans le temps.

Hélas, notre liste de reproches concernant la technique ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Et s’il est un autre point qui ne fait pas honneur à cette légende du jeu vidéo, ce sont ses (nombreux) bugs. Je vous épargnerai les longues tirades sur les chutes de framerate, incompréhensibles dans un titre de ce calibre. En revanche, on ne peut pas laisser passer la violence, par moment, du clipping. Surtout pas après les reports dont le jeu a fait l’objet, pour être soit-disant peaufiné ! Autrement dit pour éviter… Ça !

Homme à tout faire

Les développeurs ont décidé de conserver ce qui fait à la fois la richesse et la singularité de Shenmue : son gameplay. Si vous vous posez encore la question, Shenmue III est un jeu d’Action/Aventure, qui use également de mécaniques RPG. Notamment en ce qui concerne la gestion de votre inventaire, et la progression de vos statistiques.

L’un des aspects les plus plaisants de la licence est cette liberté d’action qui vous est laissée. Vous avez un objectif, mais pouvez faire ce qu’il vous plait avant de l’atteindre, tant que vous restez dans la zone de jeu, semi-ouverte. Ryo pourra donc, en vrac, jouer à des bornes d’arcade, collectionner des figurines en se ruinant dans les gashapons, participer à des mini-jeux divers, rendre des services, ou encore ramasser des plantes… Si vous connaissez la série Yakuza, qui partage cette multiplicité d’actions, sachez que c’est Shenmue qui a influencé la Ryu ga Gotoku Team sur ce point. Ça en dit long…

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Qui dit liberté ne veut cependant pas dire jeu bac-à-sable, il ne faut pas abuser ! Alors, Shenmue III va vous imposer quelques limites, histoire de corser le challenge. La première, vous la connaissez déjà si vous avez fait les précédents opus, puisqu’il s’agit du temps. Le monde de Shenmue III est soumis à des cycles jour/nuit. Et à la nuit tombée, si on n’a pas de mission nocturne en cours, on va se coucher, pour passer à la journée suivante. Le jeu comptabilise donc vos journées, vous savez ce que ça veut dire ?

La seconde contrainte est un peu plus pénalisante à mon sens : le système économique du jeu, qui vient ralentir le rythme de l’aventure. Je m’explique. Comme dans la vraie vie, tout a un coût dans Shenmue III. Y compris les oignons noirs ou les pommes que vous devez régulièrement manger pour regagner de la santé. Mais l’argent ne pousse pas sur les troncs d’arbres, il va donc falloir faire des petits boulots pour en gagner. Ou à la limite, cueillir des plantes aromatiques sauvages et les revendre. La mécanique est réaliste… Mais a souvent pour effet de vous ralentir dans l’aventure, vous obligeant à farmer, parfois en piquant du nez devant l’écran. Et vous vous souvenez que, plus haut, je vous ai dit que, pendant ce temps là, les jours défilent ?

Même la baston a perdu en peps

Notre jeune héros au pansement et au blouson de cuir étant un professionnel des arts martiaux, en apprentissage permanent, ceux-ci seront évidemment au cœur de votre progression. Entraînements divers, combats dans les dojos, ou combats contre les voyous… Pour Ryo, tout sera prétexte à apprendre des techniques, et à augmenter sa jauge de force ou d’endurance. Ne négligez donc pas ces entraînements, qui ont leur importance.

Pourtant, le jeu ne vous invite pas vraiment à vous attarder sur cet aspect. Car les combats s’avèrent au final assez mous, et peu intéressants. Quand un match se lance, le but est d’envoyer des coups qui touchent de manière assez aléatoire. Durant la partie, le jeu affiche des combinaisons de touches (technique à apprendre) que vous devrez maîtriser en réalisant cette combinaison dans un timing parfait. C’est à dire en allant très vite, car à quelques centièmes de secondes près, vous êtes « trop lent » !

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Et c’est ici que je suis pris d’un gros doute. Oui, pourtant nous parlons bien de la série Shenmue, qui devait initialement être un spin-off de Virtua-Fighter. Avec ses mécaniques de combat si chères à Yu Suzuki, que l’on retrouvait dans un certain sens dans les précédents opus… Mais que s’est-il passé ?

Au final

D’un point de vue personnel, ce Shenmue 3 est une déception : j’ai aimé la forme, un peu moins le fond. J’ai adoré les deux premiers épisodes, au point d’avoir inscrit ce troisième opus comme l’une de mes plus grosses attentes de l’année. Hélas, selon moi, le jeu est en deçà des attentes, et des possibilités techniques actuelles. Un fait d’autant incompréhensible que ce jeu, initialement parti d’un Kickstarter, a été soutenu par des noms de l’industrie, et a bénéficié de reports à répétition…

Mais je ne peux m’empêcher de penser à l’énorme pression qui aura pesé sur les épaules de Yu Suzuki et de son équipe, ces dernières années, et je compatis. Reprendre et sublimer une véritable légende du jeu vidéo, à plus forte raison lorsqu’une énorme communauté de fans attend avec des étoiles dans les yeux, est un challenge titanesque. Ryu Suzuki avait imaginé sa licence comme racontant une histoire sur cinq jeux. Nous en sommes désormais à trois, et Shenmue va devoir considérablement évoluer pour se remettre à niveau… En espérant que nous verrons bien des épisodes 4 et 5 de notre vivant.

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Pour l’heure, vous l’aurez compris, Shenmue III est un jeu sympa, mais pas la suite tant espérée de cette licence mythique. Ou plutôt devrais-je dire qu’il est la suite que l’on espérait il y a 18 ans : c’est un bon jeu Dreamcast mais pas un jeu de 2020 sur PS4 ou PC. Reste donc à savoir si vous êtes suffisamment fan pour fermer les yeux et juste apprécier la beauté de l’œuvre… Ou si au contraire votre amour pour Shenmue vous fera crier Ô Scandale face à cet anachronisme plein de lourdeurs ! À essayer, oui, mais pas à ce tarif…


Shenmue 3

Testé sur PS4, sur une version fournie par l’éditeur.

On a aimé :

  • Une aventure dépaysante et contemplative
  • L’OST qui sonne juste
  • Le retour d’un mythe du jeu vidéo
  • La liberté d’actions
  • Les cinématiques flattent la rétine
  • Les parties « enquête »
  • Sous-titrage VF
  • Pas mal de contenu
  • Caméra libre
  • Gestion de votre endurance et de votre vie

On aime moins :

  • Techniquement, c’est daté, notamment pour le rendu des personnages, trop rigides
  • Un rythme lent
  • Pas mal de soucis de clipping, de chutes de framerate
  • Un rythme en dents de scie
  • Le système économique in-game qui vous ralentit
  • Les combats mous
  • Des incohérences dans le scénario
  • Une trentaine d’heures pour en faire le tour, on espérait mieux