Tout est dit avec ce titre : Indika, c’est l’étrangeté du moment. Et sans doute le jeu le plus original que l’on ait vu depuis longtemps. Développé par les Russes de Odd Meter, et publié par l’éditeur polonais 11 Bit Studios, il nous permet d’incarner une nonne russe du tout début du XXe siècle, dans un univers où la folie tutoie la réalité à chaque instant. Et c’est le moment de vous dire ce que nous avons pensé de cet étrange jeu narratif…
Au profit des enfants victimes de la guerre en Ukraine
Vous l’avez compris : si vous êtes un habitué des productions habituelles, assez stéréotypées tant dans leur narration que dans leurs mécaniques de gameplay, Indika est clairement un jeu qui va vous déstabiliser. La sensation que vous aurez en lançant le jeu la première fois sera celle d’un spectateur qui ne regarde habituellement que des films Marvel, et se retrouve tout d’un coup devant un film classé Art & Essai, en VO et en noir et blanc, sur Arte. Une proposition inattendue, donc, et qui tranche avec les jeux que l’on a l’habitude de voir en ce moment. Et c’est plutôt une bonne chose !
L’éditeur du jeu nous présente d’ailleurs son bébé comme un jeu vidéo inspiré par les œuvres d’art et d’essai de Yorgos Lanthimos (Kinds of Kidness), Ari Aster (Midsommar) ou encore Darren Aronofsky (Black Swan, Requiem for a Dream…). Indika se concentre sur son objectif principal en abordant des croyances philosophiques et en visant à provoquer une réflexion sur des thèmes délicats. Mais là, on va vous laisser les découvrir.
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Le jeu est développé par Odd Meter, un studio à qui l’on doit aussi le jeu en VR Sacralith : the Archer’s Tale. Indika est donc le deuxième jeu développé par ce petit studio russe, exilé au Kazakhstan, et plutôt croyant si l’on se fie à son site internet officiel. Mais ce second titre est cette fois édité par le Polonais 11 Bit Studios, basé à Varsovie. Un éditeur que vous connaissez beaucoup plus puisqu’il est aussi derrière les Frostpunk, The Traumaturge, Children of Morta, This War of Mine ou encore le très attendu The Alters.
Indika est désormais disponible sur PC (Steam, GOG, Epic…), ainsi que sur PlayStation 5 et Series X/S. Enfin, sachez qu’une partie des revenus générés par les ventes du jeu vidéo Indika seront reversés pour une bonne cause. En l’occurrence pour aider les enfants victimes de la guerre en Ukraine.
Un jeu narratif « art et essai » ?
Indika est donc un jeu narratif à la troisième personne. Il nous propose d’incarner un personnage assez inattendu et peu courant dans les jeux vidéo puisque l’on parle ici d’une nonne orthodoxe russe au début du XXe. Le joueur évolue dans une Russie alternative, dont le niveau d’industrialisation et le chaos ambiant peut faire penser soit à la Révolution Russe, soit à la Première Guerre mondiale… On ne sait pas trop. Le développeur évoque simplement une période « où les visions religieuses se heurtent à la réalité« .
Le joueur incarne donc Indika, une jeune nonne enfermée dans un couvent aussi étrange que sinistre. Et visiblement, Indika est en quelque sorte le « mouton noir » du troupeau. Il faut dire que la jeune femme n’est pas particulièrement aidée en matière d’intégration, puisqu’elle semble souffrir de troubles. Elle a notamment cette faculté de percevoir la réalité de manière différente, en parlant à sa petite voix intérieure. Une petite voix que l’on soupçonne très vite d’être le tentateur, le diable en personne… Mais un jour, elle se voit confier une mission de la plus haute importance : quitter le couvent pour partir livrer une lettre. Et c’est son voyage, au sens propre comme au sens figuré, qui va constituer cette étrange aventure.
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Maintenant que le scénario est planté, il est temps de s’intéresser au gameplay. On l’a dit, c’est un jeu narratif, très cinématographique dans sa réalisation. Cependant, il nous propose aussi une infinité de boucles de gameplay différentes. Il emprunte au RPG, aux jeux de réflexion avec de nombreuses énigmes à résoudre, certains passages font même penser à du survival-horror… Le jeu vous plonge même dans des flashbacks en pixel-art… Bref, ici, on mise sur la diversité, et tout au long du jeu, le joueur n’aura quasiment jamais (ou très peu) l’impression de faire deux fois la même chose ! C’est bien, et c’est moins bien, mais on en reparle plus bas.
Enfin, on n’en a pas encore parlé, mais on apprécie aussi la direction artistique de ce récit interactif. Elle aussi hors normes avec son choix de couleurs, ses plans très cinématographiques. On aime cet univers entre Russie de la fin du XIXe siècle et un petit soupçon de steampunk, avec des bâtiments immenses, où le joueur se sent souvent désespérément seul. D’un certain point de vue, on se croirait presque dans une version alternative et post-apocalyptique. Ajoutez à cela une bande-son très réussie, avec ses murmures, sa narration et quelques musiques qui semblent tout droit venues du monde de la folie… Et vous obtenez un jeu qui attise la curiosité, autant qu’il peut mettre mal à l’aise…
La part du diable
Le jeu a donc de nombreuses qualités… Mais il a aussi des défauts ! À commencer par sa durée de vie. En comptant large, et si vous butez sur une ou deux énigmes (et ce sera le cas), vous pouvez compter entre quatre et cinq heures grand maximum pour voir le générique de fin. C’est court, trop court pour une aventure qui laisse au final pas mal d’interrogations : la fin arrive de manière abrupte, et semble décousue. Elle laisse le joueur dans l’incompréhension et dans un état de frustration, après avoir vu un récit très intéressant se construire sous nos yeux.
Lorsque je parlais plus haut des nombreuses boucles de gameplay, c’est bien, mais… Il y a aussi des choses à dire sur cet aspect, qui peut aussi se prendre les pieds dans le tapis. Certains passages sont clairement trop difficiles : ici je pense notamment à une phase d’équilibre, dans un moulin, où j’aurai dû m’y reprendre de nombreuses fois avant de réussir (j’aurais pu aussi parler d’une usine de poissons). Le constat vaut aussi pour les phases en pixel-art : le style rétro est agréable et surprenant… Mais la difficulté de ces phases en mode « die and retry » (volontairement ou pas, d’ailleurs) m’auront fait très souvent insulter intérieurement les développeurs dans une langue que je ne connais même pas. Et il y a des chances pour que certaines phases de gameplay découragent certains joueurs.
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À contrario, on a aussi des boucles de gameplay tout simplement excellentes, et notamment pour les énigmes. Et ici, on pense notamment aux moments où deux visions alternatives du monde s’opposent, et où vous devez alterner entre les deux pour avancer (je n’en dirai pas plus pour ne pas vous spoiler). Cette mécanique est excellente mais… Ne représente à tout casser que trois épreuves au cours de l’aventure. De même, on regrette que, pour certaines énigmes, le jeu manque d’indications ou d’indices, alors qu’il n’est pas toujours si évident de comprendre au premier abord ce que les développeurs attendent de nous… Il faut souvent chercher par soi-même (même si on comprend assez vite)…
Vous l’aurez compris : si le gameplay reste globalement agréable, il fourmille surtout de bonnes idées, mais qui ne sont pas vraiment exploitées ! On n’a pas encore évoqué par exemple les objets collectibles à trouver, ou les points d’XP qui n’apportent pas grand chose au gameplay (si ce n’est la satisfaction de finir le jeu à 100%). Globalement, Indika est un jeu bourré de bonnes intentions, mais qui ne va pas au bout de ses ambitions. Peut-être par manque de moyens. Alors, se pose aussi la question de la rejouabilité : une fois l’intrigue connue, et même si le jeu vous propose de reprendre les chapitres que vous avez finis, replongerez vous dans cette aventure juste pour trouver des objets cachés ?
Au final
Inutile de tergiverser ! Indika, malgré quelques défauts qui laissent deviner que le jeu n’a pas bénéficié du budget d’un AAA, est une curiosité à découvrir de toute urgence si vous recherchez un titre qui sort des sentiers battus. Avec sa narration aussi originale que le choix du personnage que vous incarnez, avec sa variété dans les boucles de gameplay, et avec son scénario qui puise dans des sujets difficiles à aborder dans un jeu vidéo… Le jeu de Odd Meter surprend, met parfois mal à l’aise, autant qu’il pique votre curiosité. Pourquoi ce propos ? Où le jeu veut-il nous emmener ? Quelle est l’histoire de cette nonne dont la voix intérieure est un diable qui semble plein de philosophie ?
Autant de questions qui vous scotchent à la manette. Ce qui est un gros atout car, avec quelques passages qui vous donneront envie d’éclater la manette au sol, la tentation de baisser les bras, de quitter le jeu pour passer à autre chose, est grande. Et si c’était justement l’intention des développeurs ? Alors ce serait du génie, et cela confirmerait notre propos. Bien entendu, on pourra reprocher à Indika d’être trop court, sans forcément beaucoup d’arguments qui donnent envie d’y revenir. Pourtant, une fois le jeu terminé, vous y êtes déjà retourné… Plusieurs fois… Dans votre tête. Ça aussi c’est du génie : Indika est donc un jeu qui ne laisse pas indifférent. Un jeu qui fait réfléchir, qui vous demandera de voir le monde, ou du moins SON monde, avec philosophie… Le tout vendu à moins de 25€…
Indika
- Par : Odd Meter, pour 11 Bit Studios
- Sur : PS5, XBox Series, PC.
- Genre : aventure narrative
- Classification : PEGI 16
- Prix : 24,99€
- Conditions de test : testé sur PS5, sur une version fournie par l’éditeur. Jeu terminé.
Les points positifs
- Très beau à regarder
- Une histoire complètement barrée
- C’est pas tous les jours que l’on contrôle une nonne orthodoxe russe
- En termes d’originalité, on ne fait pas mieux
- La variété dans le gameplay
- La bande-son réussie
- Un petit prix
- Une partie reversée aux enfants victimes de la guerre en Ukraine
Les points négatifs
- Très court
- Des passages prise de tête, où l’on insulte intérieurement le jeu
- Des boucles de gameplay excellentes mais que l’on voit trop peu
- Des collectibles et du power-up qui ne servent pas à grand chose
- Une fin abrupte et loupée
- Rejouabilité limitée
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