L’œuvre posthume d’un grand nom du jeu vidéo

Pour un fan de la série Sybéria, la sortie de cet épisode (le 4e) s’est faite avec un trémolo dans la voix. Car Sybéria : the World Before restera, pour la postérité, le tout dernier jeu du créateur de la série, le scénariste et dessinateur belge Benoît Sokal. Pour rappel, ce « génie » qui nous a offert les Enquêtes de l’Inspecteur Canardo (en BD) ou les jeux vidéo légendaires que sont L’Amerzone et Sybéria, s’est éteint le 28 mai 2021, à l’âge de 66 ans, des suites d’une longue maladie.

L’éditeur parisien Microids, qui a toujours été aux côtés de Benoit Sokal depuis ses premiers jeux, a publié son dernier titre, Sybéria : The World Before, à l’automne 2022 sur PC, PS5 et Series X/S. Mais alors, pourquoi ne vous en parler que maintenant ? Et bien, parce que c’est un an plus tard, donc en octobre 2023, que sont sorties les versions ancienne génération, PS4 et XBox One, du jeu. La version Switch est attendue pour plus tard. Quoi qu’il en soit, c’est l’occasion de vous parler de cet épisode qui n’est autre que le dernier de la saga.

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Le premier Syberia est sorti en 2002 sur PC, puis l’année suivante sur PS2 et XBox. Deux ans plus tard, on retrouve Kate Walker sur les mêmes supports, dans Syberia II. Puis, il va falloir attendre très longtemps, car Syberia III va se faire désirer jusqu’en 2017, date de sa sortie sur PS4, XBox One et PC (les trois jeux seront aussi portés sur Switch). Un épisode qui ne marquera pas autant que les deux premiers. Et recevra un accueil mitigé, tant des joueurs que de la critique.

Et puis en août 2019 est annoncé un nouveau projet : Sybéria : Le Monde d’Avant ! Un épisode qui reprend les énigmes et la narration pleine de poésie de la série mais… Cette fois avec une nouvelle notion : le voyage dans le temps ! Ou plus exactement, la possibilité de suivre, en parallèle, deux personnages séparés par des décennies. Kate Walker au début des années 2000… Et une certaine Dana Roze, en 1937, tandis que l’Europe sombre dans l’horreur…

Le récit : la grande force du jeu

La grande force de Syberia : the World Before, c’est son écriture, sa narration. Comme expliqué plus haut, il va nous faire suivre deux histoires en parallèles, qui se croisent et se complètent. Tout d’abord, le jeu nous emmène à Vaghen, capitale de l’Osterthal, pays fictif clairement inspiré par la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne. Nous sommes en 1937. On y découvre Dana Roze, jeune femme de 17 ans, étudiante en musique promise à une grande carrière de pianiste. Hélas, la menace du fascisme pèse. L’Ombre Brune, un groupuscule national-socialiste, gagne de plus en plus en notoriété, et c’est toute l’Europe qui va bientôt basculer.

En parallèle, on retrouve Kate Walker, en 2004. Suite aux événements de Syberia III, elle se retrouve emprisonnée dans une mine de sel, dans la Taïga. Mais un événement tragique la pousse à s’échapper de la mine. Et à se lancer dans une grande quête identitaire, à travers la découverte d’un mystérieux portrait… Pendant cette grande aventure, le joueur va alterner entre ces deux histoires. Tantôt de manière forcée par le script, tantôt par choix, afin de débloquer des énigmes en jouant sur cette double temporalité. Malin !

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Inutile de tergiverser ! Sans vous spoiler, vous aurez compris que le contexte dans lequel évolue Dana est clairement une référence à la Seconde Guerre mondiale telle que l’a connu notre monde réel. Avec sa folie, ses crimes horribles, pour ne pas dire ses horreurs, ses injustices, ses incompréhensions, sa haine raciale, ses pogroms… Et encore, on n’en dira pas davantage ici, on vous laisse le plaisir de la découverte. Le jeu s’appuie sur des faits réels pour les transposer dans l’univers fictif de Syberia, avec sa propre mythologie, son propre lexique pour nous dire les choses avec ses propres mots. Une façon d’adoucir notre passé ? Pas forcément, en fait…

Le meilleur moyen de réussir à planter un décor, un contexte, c’est de soigner ses personnages. TOUS ses personnages, pas uniquement les principaux, mais aussi les secondaires. Et sur ce point aussi, Syberia : the World Before nous a agréablement surpris. Car c’est avant tout à travers ses habitants, leurs regards, leurs modes de vie, que Vaghen prend vie. Et après coup, une fois le jeu terminé, le joueur se sépare de ses deux protagonistes qu’il connaît désormais, Dana et Kate… Mais il se souvient aussi de tous les autres. Pendant des heures entières, le joueur a appris à connaître Léon Kobatis, Leni… Et a suivi leur évolution avec la même curiosité, la même intimité.

Une technique en demi teinte

Si vous connaissez déjà les jeux de Benoit Sokal, alors vous ne serez pas dépaysés ! Ici, on retrouve la direction artistique typique de la série. Avec son ambiance steampunk, ses automates, son univers entre fiction et réalité… Et son architecture entre Art Nouveau et Art Déco. La DA est très réussie et, quelle que soit l’époque dans laquelle vous évoluez, il se dégage une ambiance authentique. Sybéria est une série qui a une âme, une personnalité ! C’est peu de le dire !

Kate et Dana traversent des tableaux fixes, en vue à la 3e personne avec une caméra fixe (comme dans les premiers Resident Evil), dans un point & click plein de personnalité. Rien à dire du coté de la jouabilité : c’est clair, précis, les commandes sont simples à assimiler, même pour un joueur qui n’a jamais touché à un Sybéria. Bien que, quand Kate se déplace dans les décors fixes avec la rigidité d’une barre de fer, on se croirait parfois revenu dans le premier Resident Evil (collisions avec le décor comprises). Pour les phases de puzzle, il vous suffit de déplacer le curseur sur les objets. On les cherche parfois, mais il est possible de sortir de l’impasse grâce à des indices.

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Hélas, le jeu pêche aussi par quelques petits loupés techniques. On constate par exemple des chutes de framerate durant les cinématiques. Rien de bien gênant en soi, si ce n’est cette impression, pendant un bref instant, de voir un film en stop-motion. Pas terrible dans un jeu où l’on souhaite justement en prendre plein les mirettes ! Si votre œil sera flatté par la beauté des environnements, vous risquez cependant de moins apprécier la raideur de certains personnages et PNJ. Deux défauts qui nous ramènent quelques années en arrière…

Et puis, on constate aussi quelques petites erreurs plus ponctuelles. Comme par exemple quelques lignes de répliques (VF) dont les sous-titres (eux aussi réglés en VF) s’affichent en Anglais… Dernier petit reproche : les (trop) nombreux temps de chargement ! Pire : ils vous sortent parfois du récit, alors que les développeurs avaient prévu un chouette effet de transition, entre deux timelines (difficile d’en parler sans spoiler… Lors d’une séquence, par exemple, on passe d’un personnage à l’autre à travers un miroir). À ce moment précis, la narration exigerait que la séquence soit fluide. Hélas, elle est gâchée par un écran de chargement en plein milieu. Dommage !

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Mais heureusement, certains aspects techniques de Syberia The World Before sont de sérieux atouts, comme par exemple sa bande-son ! Une bande originale, tout d’abord, signée par le talentueux compositeur israélien Inon Zur. Que vous connaissez déjà si vous avez joué à Fallout 3 ou Fallout 4, ou aux jeux Dragon Age. Il nous offre quelques plages d’une grande poésie, telles que l’hymne de Vaghen, qui accompagne une scène d’ouverture magnifique. Du coté du doublage, Kate retrouve l’immense Françoise Cadol (voix de Lara Croft dans les jeux et les films, Lady Dimitrescu dans Resident Evil Village, doubleuse d’Angelina Jolie, Sandra Bullock…). Dana est doublée par Emilie Rault (Raya et le dernier dragon). Au casting voix, on retrouve aussi Dorothée « Tracer » Pousséo, Jérémie « Faucheur » Covillault, Eric « Vegeta » Legrand

Au final

Après une sortie sur PC, puis quelques mois plus tard sur PS5 et XBox Series il y a un an… Microids vient enfin de sortir, cette fin d’année 2023, Sybéria : The World Before pour les propriétaires d’une console d’ancienne génération (PS4 et XBox One… Hélas, sur Nintendo Switch, il faudra attendre encore). Quatrième opus d’une série mythique qui s’était essoufflée avec le troisième volet, ce jeu narratif apporte une conclusion à la saga de Kate Walker de la plus belle des manières. Enfin… Peut-être verra t-on des suites, mais sans le créateur de la saga aux commandes, ce ne sera plus pareil…

Difficile de vous parler de l’expérience Syberia The World Before tant, sans doute plus que pour d’autres jeux, elle est personnelle. Notamment pour un scénario très fort qui, selon votre sensibilité, va vous toucher ou vous bouleverser. Qui va continuer à vous obséder une fois la console éteinte. Un jeu qui va marquer votre parcours de joueur comme une poignée seulement l’ont fait jusqu’à présent, et que vous n’oublierez pas de sitôt. Il est sans doute le titre qui nous aura le plus ému en 2023. Sybéria : The World Before est un magnifique hommage à Benoît Sokal, et une belle démonstration de jeux vidéo qui savent raconter des histoires.


Sybéria : the World Before

  • Par : Koalabs, pour Microids
  • Sur : PS4 et XBox One. Existe aussi sur PC, PS5, Series X/S et bientôt sur Switch.
  • Genre : point & click
  • Classification : PEGI 16
  • Prix : 39,99€ (49,99€ sur PS5 et Series X/S)
  • Conditions de test : Testé sur une version PS4 fournie par l’éditeur. Jeu terminé.
  • Une histoire incroyablement touchante
  • La bande-son magnifique d’Inon Zur
  • La direction artistique
  • L’ambiance générale et la poésie que dégage le jeu
  • Le casting VF de qualité
  • Les puzzles biens pensés
  • Un Point-&-Click qui se joue parfaitement à la manette
  • Bonne durée de vie
  • Les persos secondaires aussi sont bien travaillés
  • Des chutes de framerate, notamment pendant les cinématiques
  • Quelques petits bugs
  • Des personnages un peu raides
  • C’est pas vraiment un jeu difficile
  • Les temps de chargement