Tintin a vraiment existé

Est-il encore nécessaire de présenter Tintin, jeune reporter inventé par Georges Rémi, alias Hergé, en 1929 ? Personnage qui aurait été inspiré par l’acteur danois Palle Huld, décédé en 2010. En 1928, ce jeune homme portant des pantalons de golf gagne un tour du monde grâce à un concours organisé par le journal Politiken. Palle Huld raconte son voyage dans un ouvrage intitulé Le Tour du Monde en 44 jours, inspiré par Jules Verne. Hergé lui-même se passionne pour ce jeune aventurier qui lui donnera l’idée du personnage de Tintin. 24 albums plus tard, le jeune reporter et son chien Milou pèsent plus de 250 millions de vente à travers le monde, mais aussi des jeux vidéo, des films, une série animée…

Entre Tintin et le jeu vidéo, ça ne date pas d’hier. Plus exactement depuis 1987, date à laquelle Infogrames publie Tintin sur la Lune, sur Amiga, Commodore, Spectrum et toutes les machines de l’époque. Parmi les plus mémorables morceaux inspirés d’albums, on retiendra surtout les deux épisodes Super-Nintendo (et Megadrive), réputés pour leur difficulté, Tintin au Tibet en 1995, et Le Temple du Soleil en 1997. On oublie le Tintin : Objectif Aventure, en 2001 sur PlayStation (le dernier développé par Infogrames), qui n’était qu’une succession de mini-jeux. En 2011, c’est indirectement qu’un jeu Tintin s’inspire du Secret de la Licorne et du Trésor de Rackham Le Rouge, avec un jeu vidéo dérivé du film de Steven Spielberg/Peter Jackson qui s’inspire lui-même des BD. Et puis… Plus rien…

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Jusqu’à ce que le français Microids annonce, en avril 2020, le développement d’un jeu vidéo adapté du 4e album de la BD : Les Cigares du Pharaon. Un jeu dont le développement est confié au studio madrilène Pendulo Studios. Une équipe que vous connaissez déjà pour Vertigo, Blacksad, Yesterday Origins, Runaway… Reprenant l’intrigue de la BD, mais avec de nombreux ajouts, Les Cigares du Pharaon est un jeu d’action-aventure, avec quelques phases en point-and-click. Le jeu est édité par Microids, mais est aussi validé par TintinImaginatio (qui s’appelait autrefois Moulinsart), la société qui gère l’exploitation commerciale de l’œuvre d’Hergé.

Comme son nom l’indique, le jeu est l’adaptation libre du 4e album de BD, paru en 1934 : Les Cigares du Pharaon. Autrement dit, l’épisode durant lequel Tintin fait la connaissance des Dupondt. Ni le Capitaine Haddock ni le professeur Tournesol ne font encore partie de l’univers du jeune reporter. Le jeu s’ouvre sur Tintin qui fait une croisière en mer Méditerranée. Sur le bateau, il fait la connaissance de l’égyptologue Philémon Siclone, qui le conduit en Égypte dans le tombeau du pharaon Kih-Oskh. Mais très vite, le jeune reporter se retrouve sur la piste d’une société secrète et d’un trafic international…

Une technique à la ramasse

On va tout de suite évacuer le plus gros défaut du jeu : sa technique ! Car si nous avons pu tester le jeu sur une PlayStation 5, en ne loupant évidemment aucune mise à jour corrective, le résultat est très loin de ce que nous avions espéré. C’est d’ailleurs l’occasion de rappeler que, lorsque nous parlons de technique, nous ne parlons pas de la direction artistique. Oui, visuellement, le jeu n’est pas très joli, avec des textures grossières et d’une autre époque. Mais c’est un autre problème (et on peut toujours faire passer cet aspect sur le compte d’un choix artistique des développeurs). Celui qui nous amène est… Beaucoup plus grave !

La technique du jeu, donc ! Pour vous la faire courte, ce Tintin Reporter : Les Cigares du Pharaon est une véritable foire aux bugs ! Sans exagération, d’ailleurs, Microids, Pendulo Studio et TintinImaginatio ont même publié un communiqué pour présenter leurs excuses aux joueurs. On trouve tellement de bugs que l’on peut même les classer par ordre d’importance. Avec par exemple une catégorie « pas trop grave » : des bugs qui ne vont pas vraiment gâcher votre progression, mais peuvent surprendre en 2023. Des erreurs de syntaxe, des personnages qui se mettent à parler en Anglais sans prévenir, des textures qui disparaissent littéralement pour laisser un fond bleu… Le communiqué cité plus haut nous prévient que le jeu est sorti avant d’être fini mais… Sans doute aurait-il fallu attendre encore un peu, du coup.

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Et puis, il y a aussi hélas des bugs beaucoup plus embêtants. Comme le jeu qui se fige sans prévenir. En pleine action, les commandes disparaissent, le personnage devient immobile, vous ne pouvez plus rien faire… Si ce n’est regarder Tintin végéter, ou bien quitter le jeu pour le relancer. Depuis la dernière sauvegarde, évidemment ! C’est fâcheux, mais beaucoup moins que la console qui freeze complètement. Heureusement, ce désagrément qui vous contraint à rebooter la machine avec les vérifications de SSD d’usage, ne me sera arrivé qu’une seule fois au cours de ce test. Mais le bug m’aura par la suite hanté à chaque fois que le jeu faisait des trucs bizarres. Comme voir Tintin propulsé dans tous les sens par un obstacle invisible. Sans doute la hitbox d’un piège annulé, oubliée là.

Dans un article publié sur le site de France Inter, on apprend que le développement du jeu a coûté entre 6 et 7 millions d’euros. Soit un petit budget dans le monde du jeu vidéo, mais un budget conséquent dans le catalogue de Microids (et de Pendulo). Qui nous a déjà proposé des jeux de meilleure qualité, développés avec moins de moyens. Dans le même article, on apprend aussi que la suite du jeu, Le Lotus Bleu, est en phase de préproduction. On espère donc qu’il tirera les bonnes leçons de ce premier jet loupé…

Un jeu qui mélange les genres

Tintin Reporter : Les Cigares du Pharaon est rangé dans la catégorie action/aventure. Pourtant, il mélange différents genres, différents types de jeu. Avec notamment des phases d’infiltration qui vous permettront d’incarner Milou, quelques courses poursuites avec QTE, et bien évidemment une floppée d’énigmes et puzzles divers. Ces derniers sont plutôt bien fichus, bien que relativement enfantins, mais dans l’ensemble, ça fonctionne. En revanche, notamment en début de jeu, les phases d’infiltration évoquées plus haut finissent par devenir longuettes, voire lassantes tant l’IA fait n’importe quoi. Soit les PNJ sont au taquet, soit ils sont bigleux, mais il n’y a pas de juste milieu.

D’autant que le jeu trouve de bonnes idées, mais peine parfois à les exploiter réellement à leur plein potentiel. C’est par exemple le cas du flair de Milou, qui vous permet de trouver des indices ou suivre des pistes… Mais dans les faits, quand on vous demande d’utiliser cette mécanique, elle ne sert à rien, ou à pas grand chose. Dommage, car des phases où l’on incarne ce bon vieux « Snowy » (dans la langue de Shakespeare) étaient prometteuses, et avaient un bon potentiel en matière de gameplay. Ici, l’intention est simplifiée en une vue FPS à hauteur de Fox Terrier. Très classique, la jouabilité avec Tintin fait le job, même si le reporter fait parfois preuve d’une inertie agaçante, voire punitive, lors des sauts.

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Cependant, le jeu vous réserve quelques bonnes surprises. Comme le fait qu’il se permet beaucoup d’écarts par rapport à la BD, explorant des possibilités inédites, même pour un fan. Concrètement, un niveau bourré d’énigmes va venir ici remplacer une séquence qui tient en deux cases dans la BD de Hergé. Le joueur Tintinophile parvient donc à être surpris, même s’il connaît l’album sur le bout des doigts. Plusieurs passages, en revanche, trainent en longueur. Comme si les développeurs avaient voulu étendre artificiellement la durée de vie, parfois de manière assez maladroite. À plusieurs reprises, on est donc face à des phases qui manquent de rythme, avec cette envie pressante que le niveau se termine…

On aime cependant le côté fan-service, et la façon dont le jeu s’approprie le matériau original, et respecte dans les grandes lignes l’album dont il s’inspire. C’est un plaisir de retrouver les Dupondt à un moment où ils ne sont pas encore amis avec Tintin, ou Oliveira da Figueira, et même ce bon vieux Rastapopoulos. Et que dire du thème principal du jeu vidéo ? Qui est celui composé par Ray Parker, Jim Morgan et Tom Szczesniak pour la série animée du studio Ellipse de 1989 (diffusée sur France 3 à partir de 1992). Une véritable Madeleine de Proust pour les fans de la série, qui apprécieront la référence.

Au final

Lorsque l’on sait à quel point Microids a longtemps négocié avec TintinImaginatio pour récupérer les droits d’utilisation de la licence Tintin, avec toute la bonne volonté du monde, on s’étonne du résultat ! Car oui, Tintin Reporter : Les Cigares du Pharaon, est un jeu plein de promesses, et bourré de bonnes intentions. Mais non, il ne va pas au bout des choses, et n’honore pas ses promesses. L’idée est là, le concept est bon, mais la technique ne suit pas et semble provenir de 10 ou 15 ans en arrière. Tant dans sa réalisation pleine de bugs que dans ses boucles de gameplay vintage.

Dernièrement, le studio Microids nous a offert quelques pépites, telles que Sybéria : The World Before, ou Agatha Christie : le Crime de l’Orient-Express. Et franchement, on a rêvé très fort que Tintin Reporter : Les Cigares du Pharaon serait de cette trempe. Hélas, il n’en est rien, et malgré toutes ses bonnes intentions, le studio espagnol Pendulo se loupe. La franchise Tintin semble souffrir d’une malédiction, puisqu’aucun jeu vidéo n’a marqué les joueurs d’une empreinte indélébile (si ce n’est les deux opus Super-Nintendo, réputés pour leur archi-difficulté). Mais ne tirons pas sur l’ambulance, et croisons les doigts pour que Pendulo tire les bons enseignements de ses erreurs : Le Lotus Bleu est déjà en développement, et il aura la lourde tâche de faire office de séance de rattrapage. Pour l’heure, le jeu est sympa, mais aussi frustrant. Si vous n’êtes pas un fan inconditionnel, on vous conseille d’attendre des soldes.


Tintin Reporter : Les Cigares du Pharaon

  • Par : Pendulo Studios, pour TintinImaginatio et Microids
  • Sur : PlayStation, XBox, Switch (en 2024) et PC
  • Genre : action/aventure/infiltration/point & click
  • Classification : PEGI 7
  • Prix : 49,99€
  • Conditions de test : testé sur une version PS5 fournie par l’éditeur. Jeu terminé.
  • Revoir Tintin en jeu vidéo
  • Les énigmes variées
  • La recherche d’indices qui pousse à l’exploration
  • Plutôt bonne durée de vie (entre 10 et 15h)
  • La VF
  • On voit du pays
  • La fidélité à l’album d’origine, mais aussi les développements bien pensés
  • Des bugs (après patch), trop de bugs, qui vont même parfois bloquer votre partie
  • Globalement, le manque de finition
  • Une technique et une réalisation qui datent
  • Certaines phases d’infiltration lourdingues
  • Inertie dans les sauts
  • Quelques longueurs, des passages qui manquent clairement de rythme
  • Des énigmes faciles : le manque de challenge