Connu pour ses jeux d’enquêtes, le studio Frogwares (saga Sherlock Holmes) est de retour pour vous permettre de jouer les détectives. Mais cette fois, oubliez le champion de Sir Arthur Conan Doyle, puisque le studio s’intéresse à un autre monstre de la littérature : H.P.Lovecraft ! The Sinking City va vous plonger dans l’univers du fameux et terrifiant Cthulhu…

Love…quoi ?

Vous l’avez compris : s’intéressant à l’oeuvre de H.P. Lovecraft (ou Howard Phillips Lovecraft pour les intimes), Frogwares va donc nous plonger aujourd’hui dans un univers sombre, horrifique, pour ne pas dire glauque ! Pour bien le comprendre, il faut un minimum cerner le personnage qui a planté un univers devenu culte dans la littérature horreur/SF du début du XXe siècle.

H.P. Lovecraft, c’est tout d’abord une philosophie, qui va nous parler «d’horreur cosmique». Autrement dit, pour cet auteur, l’être humain est dépassé par des phénomènes qu’il ne peut pas comprendre, entre métaphysique et ésotérisme. Et lorsque l’auteur nous présente des héros intellectuellement au dessus de la moyenne, ceux-ci en arrivent toujours à mettre leur santé mentale en péril. Dans les récits de Lovecraft, la folie est omniprésente, presque indissociable des phénomènes surnaturels que vit le lecteur.

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Non content de raconter des histoires, Lovecraft a surtout inventé un monde, un univers, une mythologie (les fans parleront surtout de «dark mythology»). Son oeuvre principale (et la plus connue) gravite autour du mythe de Cthulhu, gigantesque créature extraterrestre à tête de seiche, endormie depuis des millénaires et vénérée comme un dieu destructeur.

N’oublions pas qu’il est aussi le créateur du Necronomicron, un livre maléfique qui apparaît dans la saga Cthulhu, devenu un monument de la culture populaire, maintes fois cité ou repris dans d’autres oeuvres… Au point que beaucoup pensent que cet ouvrage existe vraiment.

La Ville qui coule

Suite à un Call of Cthulhu (inspiré par le roman éponyme) sorti en 2018, développé par le français Cyanide (Tour de France) et édité par Focus Home… Nous voici donc de retour dans le monde glauque et humide des adorateurs du dieu destructeur. The Sinking City est cette fois-ci développé par Frogwares (connu notamment pour ses jeux Sherlock Holmes), et édité par BigBen Interactive. Il s’inspire de Le Cauchemar d’Innsmouth (The Shadow over Innsmouth), paru en 1931.

The Sinking City est donc un jeu d’action et d’enquêtes en monde semi-ouvert. Vous allez y incarner Charles W. Reed, détective privé pas très bien dans sa tête depuis qu’il a été traumatisé par la Première Guerre mondiale, dans l’Amérique des années 20. Celui-ci débarque à Oakmont, Massachussetts, pour enquêter sur une étrange inondation qui afflige la ville. Son objectif : comprendre et expliquer le mal qui a pris possession des lieux, et qui est petit à petit en train de corrompre l’esprit des habitants, ainsi que le vôtre…

Car ici, tout le monde est sujet à d’étranges hallucinations, suite à cette montée des eaux, aussi curieuse que subite. Elle a entraîné la ville, ses habitants, dans la folie. C’est donc là le premier mystère que notre détective aussi joyeux qu’une porte de centre de détention va devoir résoudre… Et des mystères, vous allez en voir bien d’autres ! Déjà, quand une ville ne figure sur aucune carte, on peut légitimement penser qu’il y a un loup quelque part…

Menez l’enquête comme un grand

Des vos premiers pas, le jeu vous met tout de suite dans l’ambiance ! Il débute par une enquête qui va vous permettre de cerner toutes les subtilités de votre personnage, de cet univers. Et qui, accessoirement, va aussi vous permettre de prendre la température, de jauger l’ambiance guillerette qui règne à Oakmont. Mais ce premier chapitre va aussi mettre les points sur les « I » ! Par «enquête», les développeurs n’entendent pas forcément ce que vous avez l’habitude de voir !

Car depuis des lustres, les joueurs ont pris l’habitude d’être guidés, assistés dans les jeux d’enquête. Cela se traduit souvent par des indices qui popent, des PNJ qui vous répètent 20000 fois la même chose tant que vous n’avez pas accompli ce qu’on vous demande, lorsque ce n’est pas tout simplement l’objectif qui demeure inscrit en permanence à un certain endroit de l’écran. Ici, la démarche est différente. Pour résumer : vous avez des outils à disposition, et… Démerdez-vous !

Autrement dit, The Sinking City n’est pas un jeu qui va vous prendre par la main, et vous emmener « fingers in the nose » jusqu’à la fin de votre enquête. Non ! Ici, vous avez un carnet de notes où votre progression, les dialogues, les objectifs… sont consignés… Ou encore l’hôpital, le poste de police, la bibliothèque ou la mairie qui vous laissent librement consulter leurs archives… Mais pour le reste, c’est à vous de faire votre enquête. À vous d’aller dans les menus pour consulter vos notes, de regarder la carte pour épingler vos prochains objectifs… Cela plaira à certains, moins à d’autres, mais The Sinking City est un jeu qui vous considère comme une personne capable de réfléchir par elle-même !

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Bien entendu, il est possible de simplifier le jeu, en choisissant le mode de difficulté qui vous correspond. Et le mode le plus facile, sans vous souffler les solutions, indiquera dans votre carnet, grâce à des pictogrammes, si telle mission nécessite de consulter des archives, d’aller sur le terrain pour enquêter, etc. Ce qui m’amène à parler des phases d’enquête, durant lesquelles vous devrez observer, parler aux PNJ, recueillir et analyser suffisamment d’indices pour les recouper… Observer encore jusqu’à ce moment où vous pourrez reconstituer la scène de crime, à la manière d’un Murdered : Soul Suspect.

Enfin, il est une dernière mécanique dont je ne vous ai pas encore parlé : les choix ! Car le jeu va aussi vous confronter à votre conscience, et vous imposer des choix cornéliens. Allez vous balancer le suspect à la population, suite à quoi il se fera lyncher… Ou allez vous garder le silence, en attendant de mieux comprendre la situation ? Ces choix vous appartiennent, mais auront des conséquences sur votre aventure. Réfléchissez bien, donc !

Une ambiance réussie

Et on poursuit avec ce qui, selon moi, est l’aspect le plus réussi du jeu : son ambiance ! Le level design suinte, dégouline de toute part… Autant vous le dire tout de suite : vos parties vont vous donner en permanence l’impression de jouer en portant des fringues mouillées ! The Sinking City porte bien son nom, l’eau est partout ! Mais pas que, car l’étrange s’est lui aussi bien installé en ville : dans chaque tableau, dans chaque plan, il y a ce petit détail qui vous donne cette impression d’être dans un cauchemar, et le malaise n’est jamais loin.

Mais le plus intéressant est la façon dont le jeu s’inscrit dans l’imaginaire de Lovecraft. Et là, nous allons donc parler de la vision pesante, inquiétante, pour ne pas dire crade de Oakmont ! On se retrouve indéniablement plongé dans cette ambiance lovecraftienne que l’on était venu y chercher !

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L’ombre de Cthulhu plane sur le moindre quai, le moindre mur, bouffé par la crasse, les cadavres de requins ou de poulpes démembrés, et par les berniques. L’ambiance est renforcée par les choix de couleurs : le jeu baigne dans les tons froids, majoritairement du vert ou du bleu.

Enfin, il est impossible de parler de l’ambiance sans insister sur l’aspect très réussi qu’est la folie de votre héros. Celle-ci est matérialisée par une jauge de santé mentale qui, lorsqu’elle est au plus mal, vous plonge dans de véritables hallucinations. Créatures mystérieuses qui apparaissent, champs de vision qui se déforme, héros qui pointe son flingue sur sa tempe avant de se ressaisir… Pour notre cher Charles, la frontière entre la raison et la folie est très mince, et on a fréquemment l’impression que l’on peut basculer à chaque instant.

Une technique qui patauge

Et voici maintenant ce qui est indéniablement le point faible du jeu : sa technique. Si elle fait globalement le job, on a beaucoup de mal à comprendre pourquoi le jeu a été repoussé de deux mois, afin de sortir dans une version optimale… Et de finalement sortir dans cet état ! Visuellement, si l’ambiance est réussie, la technique est datée, et malgré l’affichage en 60 fps, on ne peut s’empêcher de se dire que nous avons ici un chouette jeu PS3.

Le jeu tourne sous Unreal Engine 4, un moteur qui donne visiblement pas mal de fil à retordre aux développeurs. Et tour à tour, nous allons avoir le droit à du clipping, du tearing et bien entendu de l’aliasing. On pourrait aussi parler des PNJ qui tantôt se figent, tantôt disparaissent dans le décor, tantôt jouent les Derviches Tourneurs.

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Alors oui, on est bien d’accord, le jeu pourra bénéficier par la suite de patches correctifs… Mais, son report devait justement régler ces problèmes. Et je ne puis m’empêcher d’être inquiet pour la version Switch, prévue pour dans quelques mois. Un support qui risque une fois de plus de souffrir de la comparaison avec les PS4 et Xbox One. 

Mais le plus décevant dans The Sinking City, ce sont ces phases d’action, qui pourraient s’apparenter à des gunfights. Ces phases de tir sur les Malbêtes (des monstres) pourraient enrichir le gameplay, dynamiser le tout… Si elles n’étaient pas complètement molles et sans saveur. Tu pointes et tu tires, comme diraient les joueurs de pétanque… Et encore, le système de visée est tellement à la ramasse que l’on préfère le corps à corps, à grands coups de pelle, plus efficace ! Au moins, ça ajoute du fun…

Au final

The Sinking City n’est pas le jeu de l’année ! Mais à ma grande surprise, il parvient à nous captiver… C’est un peu ce roman de SF ou cette série horrifique qui va faire notre été, à la plage ou après la soirée grillades… Un peu comme, lorsque nous étions enfants, nous attendions fébrilement de découvrir les épisodes des Contes de la Crypte. Cela n’allait pas changer notre vie, mais l’impatience était là, et nous a laissé de tendres souvenirs de vacances…

Si vous aimez le genre, le jeu est à essayer, ne serait-ce que pour son ambiance, son récit qui comble notre envie d’avoir un p’tit frisson le long de la moelle épinière (bien qu’il ne soit pas non plus très effrayant). Sa technique est en retrait, mais ce n’est pas ce qui compte. Car malgré tout, on serre les dents et on s’accroche si l’on est pris par cette intrigue tantôt malaisante, tantôt passionnante.

Dernier point qui jouera en la faveur de The Sinking City : il sort à une période durant laquelle on ne peut pas dire que les sorties soient légion. Et je reste poli, pour ne pas dire qu’en ce moment, on s’emm… Un peu ! Alors, si vous avez déjà rattrapé tous les hits que vous avez loupé cette année, et si vous voulez un peu de nouveauté… The Sinking City devient un candidat très intéressant… Mais encore une fois, il faut aimer le genre SF, et passer au dessus de sa réalisation en retrait…


The Sinking City

 

Points positifs :

  • L’univers de Lovecraft bien retranscrit
  • Bonne durée de vie (entre 30 et 40 heures)
  • La folie et sa représentation
  • VF globalement réussie
  • Les mécaniques d’enquête
  • Les choix qui ont un vrai sens
  • L’ambiance

Points négatifs :

  • Une technique qui date un peu
  • Les gunfights qui manquent de peps
  • Des bugs d’affichage
  • Beaucoup d’allers et venues (malgré un déplacement rapide)
  • L’interface manque de clarté
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