Oubliez tout ce que vous avez connu sur la Première Guerre mondiale ! Les Call of ou Battlefield vous ont déjà servi la version « blockbuster façon Hollywood » … DigixArt, Aardman et Bandai-Namco vous proposent aujourd’hui la « narration poétique et artistique » avec ce 11-11 : Memories Retold ! Et j’avais comme une envie de vous en parler !

Trouver la bonne approche sur un sujet sensible

Bien évidemment, le titre 11-11 se réfère au 11 Novembre 1918, date à laquelle est signé l’Armistice qui met fin à la Première Guerre Mondiale. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce conflit terriblement meurtrier est un sujet pour lequel il est difficile de prendre trop de libertés. Du 28 juillet 1914 au 11 novembre 1918, le conflit a mobilisé au total près de 43 millions de soldats, et causé plus de 18 millions de morts.

Dans 11-11 : Memories Retold, les développeurs du jeune studio français créé par Yoan Fanise ont choisi non pas de nous faire revivre les grandes batailles très connues de la Première Guerre mondiale… Mais de suivre deux protagonistes en particulier. Deux destins qui vont converger vers une histoire commune, au beau milieu du conflit, tandis que se rapproche l’Armistice. Ici, pas de faits héroïques commis par des super-héros sur le front… Juste des hommes peu aguerris (voire pas du tout), livrés au quotidien des soldats.

Bien qu’étant une fiction, le jeu s’inspire de faits réels. En l’occurrence, la bataille de Vimy (Hauts-de-France, dans le Pas-de-Calais) où se déroule l’aventure. Du 9 au 12 avril 1917, les soldats du corps canadien vont tenter de reprendre la crête de Vimy aux Allemands. Une victoire pour les Canadiens (au prix de 3 598 morts), là où Britanniques et Français avaient échoué pendant plus de deux ans…

Harry le Canadien… Kurt l’Allemand

Harry est un jeune photographe canadien. Il est secrètement amoureux de son amie d’enfance, Julia, qui n’a d’yeux que pour les uniformes. Et lorsqu’un major de l’armée canadienne, le caricatural major Barrett, venu se faire photographier chez l’employeur d’Harry, lui propose de le rejoindre… Le jeune photographe décide de s’engager. Peut-être ses photos de guerre seront-elles célèbres un jour, ce qui pourrait susciter l’admiration de sa chère et tendre ?

En Allemagne, Kurt est un père de famille, ingénieur, qui s’est mis au service de son pays, en travaillant dans une usine qui fabrique notamment les célèbres Zeppelins. Sa vie bascule le jour où il apprend qu’au front, plusieurs soldats allemands sont portés disparus suite à une attaque ennemie. Parmi eux, son propre fils. Le seul moyen, pour Kurt, d’en savoir plus, est de s’engager et de rejoindre le front à son tour…

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Ce sont donc ces deux destins, ces deux hommes pas vraiment taillés pour porter un flingue, que l’on va suivre en alternance (le switch entre les deux nous permet même parfois de voir leurs deux points de vue sur une même situation), jusqu’à un certain jour fatidique. Jusqu’à 11 heures, le 11e jour du 11e mois de l’année 1918. À cet instant, nos deux protagonistes devront prendre une décision capitale qui… Influera sur la conclusion du jeu, et les différentes fins qu’il propose. J’ai très envie d’en dire plus, mais je n’irai pas plus loin…

Tout ce que vous devez savoir pour le moment, c’est que Yoan Fanise, qui nous avait déjà arraché une petite larme en parlant de cette même guerre avec le magnifique Soldats Inconnus… Veut nous prendre aux tripes en se focalisant sur ces deux destins… Et purée, ça marche !

Comme une peinture…

Le choix de l’histoire qui nous est contée ici est une chose. Celui de la direction artistique est tout aussi audacieux ! On le doit aux animateurs anglais de chez Aardman (Wallace & Gromit, Chicken Run), qui ont prit la décision de s’écarter des canons graphiques habituels. Quand beaucoup de jeux nous en mettent plein la vue avec des graphismes ultra-réalistes, 11-11 prend une orientation plus artistique.

Ici, les images sont représentées comme des tableaux inspirés du courant Impressionniste. Je le conçois, au premier abord, ça peut surprendre. Mais il ne vous faudra que quelques minutes pour vous y habituer… Et vous dire que « voilà ce que l’on attend d’un jeu vidéo » ! Qu’il ose, qu’il nous surprenne, qu’il se démarque des autres titres ! Je ne cesse de répéter que le jeu vidéo est un art. 11-11 : Memories Retold n’en est que l’exemple concret ! On ne peut qu’être admiratif devant le choix pertinent des teintes, des couleurs choisies selon les situations… Pour nous montrer le conflit depuis les tranchées avec des dominantes ternes, ou les épisodes plus légers avec davantage de lumière ou de couleurs.

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11-11 : Memories Retold est un jeu narratif. Ici, pas de gunfights nerveux, pas d’action à outrance… Mais un récit qui se déroule sous vos yeux, et qui sollicite parfois votre participation en vous demandant de presser une touche, de prendre une décision, de choisir entre deux possibilités… Le jeu pourrait presque se jouer en mode « pépère » avec la manette posée sur un genou si…

… Si les développeurs n’avaient pas prévu quelques phases de gameplay plus originales, et qui vous sortent d’une jouabilité que l’on aurait pu croire, à tort, monotone. Ainsi, par exemple, on trouvera un passage qui vous demandera de faire slalomer votre navire entre des mines… Et les objets à collecter, planqués dans les tableaux, sont assez nombreux. Voici d’ailleurs mon premier regret : ces phases de gameplay plus originales sont réussies, et bien maîtrisées… Mais hélas trop sous-exploitées à mon goût. DigixArt a trouvé la bonne formule, mais nous la sert en trop petites quantités…

Restent les particularités propres à nos deux héros, chacun bénéficiant d’une petite mécanique personnelle. Quand Harry ne fait pas des photos de propagande, il peut prendre chaque jour plusieurs photos (en nombre limité) de sa vision du conflit, puis envoyer l’une d’entre-elles à sa dulcinée. De son coté, Kurt devra échanger avec ses frères d’armes pour débloquer des sujets de conversation autres que la guerre. Et ainsi pouvoir écrire à sa fille restée au pays, en lui parlant du front sans choquer ses petits yeux de 8 ans (à vous de choisir si vous lui dites la vérité, ou si vous enjolivez votre récit)…

L’ambiance sonore y est aussi pour quelque chose…

Aussi surprenant visuellement qu’il soit, aussi réussie que soit sa narration… 11-11 : Memories Retold ne m’aurait sans doute pas autant touché s’il ne bénéficiait pas également d’une bande-son particulièrement réussie. Sa bande-originale est signée par le français Olivier Derivière, et a été enregistrée au studio Abbey Road, avec le Philharmonia Orchestra de Londres.

Pour en savoir plus sur cette bande-originale, je vous invite à (re)lire notre interview d’Olivier Derivière, ici.

Les sons authentiques voulus par le compositeur français sont du plus bel effet. Les compositions sonnent juste, se juxtaposent parfaitement sur l’image. Et l’on sent en permanence l’amour du compositeur pour le classique, en devinant ici ou là les influences de Tchaïkovski ou Debussy. Les thèmes vous emportent, et j’ai encore des frissons à l’écoute du thème Harry’s Voyage, par exemple. À sa manière, la musique contribue à votre immersion dans le jeu. Elle est le troisième pan du triptyque menant le jeu sur la voie du succès.

Et puisque l’on parle du son, sachez aussi que si le jeu est en Anglais et en Allemand (selon le personnage que vous suivez… Mais avec des sous-titres français), c’est un plaisir d’entendre Harry et Kurt dans leur langue natale : Harry est doublé par Elijah « Frodon » Wood, et Kurt par Sebastian Koch. Ici, tout le monde ne parle pas Anglais comme dans les films américains, et un soldat Allemand ne changera pas de langue pour vous faire plaisir. Un choix intelligent de plus, de la part des développeurs, puisque ceci va contribuer à dresser la barrière de la langue entre nos deux protagonistes.

NOTE : La version physique est livrée avec un code de téléchargement pour obtenir l’OST… Une chouette initiative, même si une bande-originale d’une telle qualité aurait mérité un support physique.

Le jeu parfait n’existe pas

Jusqu’ici, 11-11 : Memories Retold nous a offert le meilleur. Mais la perfection n’existant pas, on ne pourra que constater que, lui aussi, souffre de quelques petits défauts. À commencer par les incorrigibles bugs, ici et là. Un sous-titre qui ne s’affiche pas, un tableau qui manque de lisibilité… Rien de bien méchant, mais… On sent aussi parfois que le moteur du jeu traîne la patte. Mais rien qui ne vienne nuire à l’expérience.

Si je vous parlais plus haut des différentes mécaniques du jeu, celle des « collectibles » n’est pas celle qui captera au mieux votre attention. Ces objets cachés étant bien planqués, on passera souvent à coté. Et le scénario captivant nous poussera souvent à poursuivre l’aventure, plutôt qu’à s’arrêter pour fouiller les tableaux. À plus forte raison avec des personnages aussi rigides, pas du tout taillés pour les phases d’exploration. Ceci dit, si la durée de vie du jeu est assez courte (entre 4h et 6h en ligne droite), il bénéficie d’une bonne rejouabilité… Notamment pour voir ses multiples fins, conditionnées par vos choix, notamment ceux que vous devrez faire à la fin du jeu. Voici donc peut-être, pour les perfectionnistes, l’occasion de tenter le 100%…

Enfin, malgré toutes ses bonnes intentions, et son écriture globalement très réussie, le jeu ne peut s’empêcher, parfois, de tomber dans les clichés. Un major Barrett bourrin et caricature de l’héroïque gradé militaire… Enfin, et notamment au cours de sa troisième partie, le titre de DigixArt souffre de quelques baisses de rythme, heureusement relancées par quelques twists bienvenus…

Au final

Sorti au moment de l’Armistice, le 11 Novembre dernier, 11-11 : Memories Retold est un pur bonheur ! Un petit bijoux de jeu narratif qui va vous prendre aux tripes. Le jeu prend le parti de s’éloigner de l’horreur que fut cette première boucherie mondiale, pour nous parler de fraternité, d’humanité, d’amitié… Dans les moments les plus horribles de son histoire, l’Humain est aussi capable de trouver le meilleur de lui-même ! Et avec justesse, le jeu nous montre ces horreurs, en prenant pour parti de ne pas nous pousser à y participer.

11-11 : Memories Retold est typiquement de ces jeux que j’aime, pour la simple raison qu’ils font la nique à tous les antis qui définissent notre loisir préféré comme « un abrutissement par la violence d’une jeunesse sous-évoluée ». Encore une fois, Yoan Fanise nous démontre, en très gros caractères, qu’un jeu vidéo peut être une oeuvre d’art. Une oeuvre qui va vous toucher par sa musique, son récit, ses images… Et surtout parce qu’elle vous raconte la Guerre en se mettant à hauteur d’homme !

Entre deux Triple A, 11-11 : Memories Retold est un jeu qui fait du bien ! L’an passé, nous avons célébré les 100 ans de la fin de la Première Guerre Mondiale. Et le jeu vidéo ne pouvait passer à coté de l’événement. Il contribue aujourd’hui, à sa manière, au fameux devoir de mémoire, en touchant à un thème délicat avec tout le respect qui lui est dû. Bandai-Namco a eu le nez fin de soutenir le développement d’un tel chef-d’œuvre… Espérons que cela se reproduise…


11 – 11 : Memories Retold

 

On aime :

  • L’originalité de la direction artistique
  • Scénario aussi émouvant que passionnant
  • La bande-son magnifique
  • Des mécaniques de gameplay simple à assimiler
  • C’est une fiction, mais extrêmement bien documentée
  • L’ambiance à la fois pesante et poétique
  • Le doublage d’Harry et Kurt
  • Plusieurs fins différentes

On n’aime pas :

  • Quelques bugs, on sent que le moteur rame un peu
  • Ne venez pas chercher ici un gros challenge
  • Pris par l’histoire, on passe vite la quête des collectibles au second plan
  • Quelques baisses de rythme
  • Personnages parfois un peu rigides
  • Durée de vie assez courte
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