Nous sommes en 1997, et au Japon arrive sur PlayStation, première du nom, Gran Turismo, un jeu qui va à la fois devenir une légende… Et réécrire les codes du genre « jeux de courses » ! Kazunori Yamauchi, un développeur passionné d’automobile, vient de créer une légende… Un véritable monstre !

Kazunori Yamauchi, perfectionniste à outrance

Il est impossible de parler de Gran Turismo sans évoquer son créateur, un certain Kazunori Yamauchi, développeur né à Kashiwa (préfecture de Chiba) un 5 août 1967. Un homme qui, après des études d’économie, intègre d’abord Sony Epic Music, avant d’intégrer le groupe dédié aux jeux vidéo, Sony Computer Entertainment.

Kazunori Yamauchi commence à développer plusieurs jeux sur PlayStation. Mais très vite, il est rattrapé par sa grande passion : la course automobile. Une passion tellement dévorante qu’il est d’ailleurs le propriétaire de plusieurs modèles de collection (Ford GT, Porsche GT3, Nissan 350Z Nismo, Honda S2000, Mercedes SL55…). Et qu’à l’occasion, il pilote (il a, par exemple, participé à plusieurs reprises aux 24 Heures du Nurburgring).

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Mais revenons à nos moutons ! Kazunori Yamauchi est un passionné de bagnoles ! Alors, il prend la tête d’une équipe de sept personnes, au sein d’un studio qui s’appellera Polys Entertainment. Ce studio sortira, sur PlayStation, les désormais bien connus Motor Toon Grand Prix (1994) et Motor Toon Grand Prix 2 (1996).

Cependant, les graphismes tout mignons en SD, ça va un temps… Mais Yamauchi est un perfectionniste. Il ne veut pas créer un jeu de courses comme tous les autres. Le fun, il s’en moque un peu ! Notre homme veut créer un simulateur, avec des comportements réalistes, une conduite la plus fidèle possible à la réalité. Plus tard, Yamauchi confiera n’être rentré chez lui que quatre jours par an durant les cinq ans de développement de GT… Passant tout son temps au studio.

Et en décembre 1997 au Japon, alors que son studio est devenu Polyphony Digital (studio affilié à Sony), les joueurs découvrent LE jeu auquel il pensait depuis le début : Gran Turismo ! Jeu qui arrivera en Europe au printemps 1998.

Tout est déjà là

Après près de cinq années de développement, Gran Turismo est donc enfin là, en décembre 1997 au Japon, et en avril 1998 en Occident. Le perfectionnisme de Kazunori Yamauchi évoqué plus haut se ressent jusque dans le slogan du jeu : « The Real Driving Simulator » (« Le véritable simulateur de pilotage »). Autant dire que notre homme a confiance en son produit !

Je me souviens encore de la hype gigantesque qui m’avait poussé à acheter Gran Turismo. Jusqu’alors, sur ma PS1, j’enchaînais les tours de circuits sur Ridge Racer Revolution et sur Porsche Challenge, deux jeux orientés arcade. Mais ici, la donne changeait, avec un jeu vendu comme infiniment plus réaliste.

Sur mon écran 4:3, la séquence d’intro du jeu se lançait, et tout était déjà là ! Des images en noir et blanc, un circuit vide, des mécaniciens qui s’animaient et… Un logo en bleu et rouge… Puis des vrombissements de moteurs, et les grosses cylindrées du jeu qui défilaient à l’écran. Ce qui me fait réaliser que, dans leur narration, les intros de tous les jeux Gran Turismo reprennent cette même construction depuis plus de 20 ans !

Plus qu’un jeu de courses, un simulateur

Gran Turismo se démarque de la concurrence par son aspect « simulation » très poussé. Des courses fun, typées Arcade, Ridge Racer et tant d’autres titres l’ont déjà fait ! Yamauchi a d’autres ambitions : il veut vous glisser dans la peau d’un authentique pilote, au volant d’une véritable voiture, dans des courses tout ce qu’il y a de plus réaliste.

Le premier aspect accentué sera donc la modélisation des véhicules. Ici, pas de voitures fantaisistes, mais de véritables modèles existants. Polyphony se rapproche de grands constructeurs comme Honda, Nissan, Toyota, Chrysler… Les développeurs allant jusqu’à se déplacer pour enregistrer les véritables sons de chaque moteur, de chaque modèle.

Soit 170 bolides disponibles dans le jeu : cela semble peu aujourd’hui, mais à l’époque, le roster de GT était dingue. Bien que, dans ce premier épisode, une grande majorité de véhicules étaient des voitures de série de marques japonaises. Et si les Chrysler Viper GTS-R, Honda NSX-R LM GT2 ou Nissan Nismo GT-R LM sont bien présentes, il faudra attendre Gran Turismo 2 pour que les voitures d’endurance ne prennent de l’importance dans la licence. Au menu du jeu, les « permis de conduire » et des courses rapides, des championnats, et un mode deux joueurs…

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Le hic est que les constructeurs ne veulent pas donner une mauvaise image de leur marque, notamment lors d’accidents. Alors, les voitures de Gran Turismo seront indestructibles. Malgré des sorties de route impressionnantes, vous ne plierez jamais un rétro, ne rayerez jamais la peinture ! Un aspect qui deviendra récurrent dans la série, et qui sera souvent critiqué.

Le studio s’attache aussi à rentre très réaliste la physique des voitures. Leur adhérence, la sensation de vitesse, celle de transfert des masses, le survirage ou le sous-virage, le phénomène d’aspiration… Des notions auxquelles on n’est pas vraiment habitués dans un jeu vidéo. Mais qui vous enseignent la réalité et les problématiques auxquelles sont confrontés les pilotes.

Mieux, les voitures se salissent avec le temps. Problème auquel vous pouvez remédier en les emmenant au car-wash du jeu ! Et après chaque course, pour le passionné d’automobiles, arrive la récompense : un replay chouettement réalisé, avec des angles de vue réalistes… Qu’on a tous regardé jusqu’à la fin après une victoire !

Une jouabilité réinventée, et révolutionnaire

Une touche pour accélérer, une autre pour freiner, et une troisième pour le frein à main… La jouabilité de Gran Turismo est on-ne-peut plus classique pour un jeu de courses. Pourtant, elle se démarque des autres titres et va être une véritable révolution ! Et pour cause : Gran Turismo est LE jeu qui va permettre à Sony de mettre en avant un nouveau produit, qui va changer la conception du gameplay chez les joueurs PlayStation.

Imaginez plutôt : depuis la sortie de la PlayStation, vous évoluez sur une manette classique et basique, avec sa croix, ses boutons, et ses gâchettes. Mais devinez un peu qui va accompagner la sortie de Gran Turismo, en décembre 1997 au Japon et au printemps 1998 en Europe ? Une manette équipée de deux moteurs et deux sticks analogiques ! Vous venez de comprendre ! En même temps que Gran Turismo arrive la DualShock, première du nom. Avec sa conduite aux sticks, et ses vibrations ! Gran Turismo devient alors la vitrine de cette nouvelle façon de jouer.

Mais Gran Turismo va véritablement marquer les joueurs par une conduite qui se veut aussi réaliste que diversifiée. Ici, on ne parlera pas d’un, mais de multiples gameplays. Sensations d’adhérence, transfert de masses, survirages… Chaque modèle de voiture propose une jouabilité qui lui est propre, mais qui va évoluer au fil des améliorations que vous y apporterez (un travail de titan qui aura nécessité quatre années aux développeurs). Le secret d’une conduite aussi réaliste ? Chaque roue est modélisée indépendamment des trois autres, et a sa propre physique. Ce qui était loin d’être la norme à cette époque.

Le culte du mérite

Le réalisme souhaité par Yamauchi touche aussi le système de récompenses du jeu. Ici, il ne suffit pas de gagner une course pour remporter systématiquement une voiture (même si ça peut arriver). Avoir un solide garage, ça se mérite au prix d’un solide bagage ! De nouveaux modèles, ça s’obtient à la sueur de son front !

Alors, Gran Turismo utilise un système d’argent in-game, les fameux CR, à remporter en gagnant des épreuves. Et comme dans la vraie vie, pour obtenir un véhicule, neuf ou d’occasion, vous devez passer chez le concessionnaire ! Pire : le modèle ainsi acheté sera un modèle de base. Pour plus de performances, vous devrez revenir chez ce même constructeur pour acheter des améliorations pneumatiques, moteur, boite de vitesse, etc. Le joueur de Gran Turismo n’est pas qu’un pilote, il est aussi mécano, et gère un portefeuille !

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Mais ne pensez pas que les choses soient aussi simples. Car les différents items ne sont pas soldés, et s’affichent à des prix cohérents. Ainsi, posséder la fameuse Dodge Viper va vous faciliter la vie sur la piste… Mais pour avoir les crédits nécessaires et pouvoir vous l’offrir, vous devrez enchaîner les victoires. Et ainsi atteindre un niveau de pilotage vous permettant de « dompter la bête » et un compte en banque en conséquence ! Le système monétaire de Gran Turismo fait aussi office de niveau de difficulté, en quelque sorte.

Mais avant d’en arriver là, de pouvoir concourir contre les autres pilotes dans les championnats… Vous allez devoir (encore une fois) le mériter ! Et c’est là, en tout début de partie, que Gran Turismo dévoile un autre mode qui sera sa marque de fabrique : les permis de conduire. Car sans les précieuses licences, dans différentes catégories, les courses ne seront pas accessibles.

Voyage autour du monde

Je vous l’ai dit plus haut ! Ce premier Gran Turismo plante tout ce qui va faire la sève de la série. Et ce jusqu’aux épisodes les plus récents. Ici, on ne s’embarrasse pas d’un scénario : on incarne un pilote anonyme, qui engrange de l’argent et le dépense pour se constituer une collection de voitures.

Le premier opus ne bénéficie pas encore des droits sur des circuits réels, tels que Monaco, Laguna Seca ou encore Monza (qui arriveront ensuite). Cependant, les 11 circuits présents, bien qu’imaginés par l’équipe de développement, s’en inspirent pour leurs courbes, pour leurs tracés qui offrent à la fois des terrains de jeu funs, mais exigeants.

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Onze pistes donc, qui vont devenir des références, et nous faire voyager autour du monde. Et onze pistes que l’on retrouvera dans tous les épisodes suivants (excepté Gran Turismo Sport). Dès ce premier opus, on retrouve ainsi :

  • High Speed Ring
  • Trial Mountain
  • Grand Valley East
  • Clubman Stage Route 5
  • Autumn Ring
  • Deep Forest Raceway
  • Special Stage Route 5
  • Grand Valley Speedway
  • Special Stage Route 11
  • Autumn Ring Mini
  • Test Course

Un jeu qui brille aussi par sa playlist

Gran Turismo

S’il est un aspect de Gran Turismo qui m’avait marqué, à l’époque, c’est sa playlist, sa bande-son. Aujourd’hui, je l’avoue : les différents opus du jeu m’ont fait découvrir des chansons, voire des groupes !

La bande-son est un melting-pot de musiques « maison » et de tubes de l’époque. Des plages électro, jazz, lounge… Ainsi que des morceaux rock ou électro tels que As Heaven is Wide (Garbage) ; Lose Control (Ash) ; Sweet 16 ou Tangerine (Feeder) ; Oxyacetalene, Industry ou Autonomy (Cubanate)… Pour les plus connus.

Des défauts récurrents

Gran Turismo

Ce premier Gran Turismo a planté les bases de la série. Tant pour les qualités évoquées plus haut que… Pour les défauts sur lesquels nous ne pouvons pas fermer les yeux. Et ici, je ne parle pas des graphismes qui ont parfois mal vieilli : je vous assure qu’à l’époque, le jeu était une claque !

Mais il est amusant de voir que les principaux défauts de cet épisode vont coller à la licence à travers les générations… Pour n’être corrigés que très tardivement (mais pas tous). Et j’ai déjà évoqué la question des voitures invulnérables : pas une rayure après un choc à 180km/h, question réalisme, on repassera, pour ce point !

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On pourrait aussi parler des environnement qui, bien que très chouettes, restent globalement vides voire fades, même dans les opus suivants sur PS3 ou PS4. Mais l’aspect qui m’a toujours fait rager dans Gran Turismo, c’est son IA. Ou plutôt son absence d’intelligence artificielle. Imaginez cinq adversaires, posés sur des rails, qui se contentent d’avancer à la queue-leu-leu, que vous soyez là ou pas. Le challenge d’affronter d’autres pilotes n’est ici qu’une illusion !

Enfin, le jeu ne nous épargne aucun bug inhérent à la PS1. Entre les polygones qui disparaissent, voire un aliasing ultra-prononcé (mais c’était pire dans Gran Turismo 2, paradoxalement)… Ceux qui ont joué à GT se souviennent des bons moments passés sur Deep Forest ou Clubman Route 5… Mais oublient aussi combien ils ont saigné des yeux.

Un concours, une vraie Viper en jeu !

Gran Turismo

Connaissez-vous Pierre Landouzy ? Ce Toulousain, alors étudiant, était considéré à l’époque comme un virtuose de la PlayStation, et son insolent talent aura fait rêver plus d’un joueur !

Au lancement du jeu Porsche Challenge, Sony organise un concours permettant de gagner une authentique Boxter. Pierre gagne le concours ! Un an plus tard, Sony remet ça pour le lancement de Gran Turismo. Cette fois, c’est une Viper GTS, la « star » du jeu, qui est à gagner. Une grosse berline américaine du constructeur Chrysler, d’un coût de 580.000 F (près de 90 000 euros).

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Et devinez un peu qui participe, envoie sa sauvegarde (sur carte mémoire) à Sony, et bat le record demandé sur le circuit Deep Forest ? Vous avez compris ! L’étudiant de l’école nationale d’aviation remporte la Viper, comme il remportera aussi, un peu plus tard, la Harley Davidson du concours Tekken 3.

Dans une interview, le gagnant de ce bolide affichant alors seulement 120 km au compteur dira :

«Je cherche à revendre cette voiture. Trop chère à entretenir elle aussi, et trop voyante. La première fois que je l’ai utilisée pour circuler dans Reims, je me suis fait arrêter par la police».

Pierre Landouzy.

Au final

Gran Turismo

Ce n’est pas pour rien que le jeu s’est vendu, au total, à 10,84 millions d’exemplaires dans le monde, faisant de lui la meilleure vente de la PlayStation ! Gran Turismo est un succès qui a redéfini le genre, qui a posé de nouveaux standards ! Il y a un « avant » et un « après » Gran Turismo ! Et beaucoup de jeux de courses qui l’ont suivi s’en sont inspirés.

Aujourd’hui, la licence qui va bientôt nous offrir son septième épisode sur PS5 n’a pas pris une ride. Elle a su se réinventer, s’améliorer, tout en gardant le cap souhaité dès ce premier épisode par Yamauchi. Le Real Driving Simulator est plus qu’un jeu, il est un monument vidéoludique ! Et un titre que tout rétro-gamer se doit de posséder, coûte que coûte.


Gran Turismo

  • Par : Polyphony Digital.
  • Sur : PlayStation.
  • Genre : Simulation de courses automobiles.
  • Date de sortie : Décembre 1997 au Japon, avril 1998 en Europe
  • Prix : aujourd’hui, le jeu ne coûte presque rien. Et en vous débrouillant bien, vous pourrez le dégoter entre 2€ et 5€ (cote argusjeux.fr : 3,04€).
Points positifs :
  • Durée de vie colossale
  • La modélisation des voitures
  • 170 bolides à acheter
  • Le feeling, les sensations de pilotage
  • La bande-son
  • Customiser sa voiture
  • Le replay
  • On peut même laver sa voiture
Points négatifs :
  • Des véhicules invulnérables
  • Des environnements un peu fades
  • Beaucoup d’aliasing
  • La corvée des permis de conduire
  • Une IA ? Quelle IA ? Où ça ?