Puisque l’on sait maintenant qu’il faudra attendre très exactement un an pour pouvoir jouer à Shenmue 3… Pourquoi ne pas en profiter pour (re)découvrir les deux premiers opus ? Ça tombe bien : Sega et Deep Silver vous proposent de rejouer aux deux titres fondateurs… Deux fantômes de l’ère Dreamcast ressuscités le temps d’une compilation : Shenmue I & II.

Plus qu’un jeu, une légende !

Shenmue est une licence qui nous ramène dans une autre époque. Très exactement en 1999 (au Japon, 2000 en Europe), lorsque le premier volet sort sur la dernière console de Sega : la Dreamcast. Le jeu a été imaginé par Yu Suzuki, un homme fort de Sega à qui l’on doit aussi, par exemple, un certain Virtua Fighter.

En son temps, Shenmue fut un jeu très ambitieux, développé avec un budget record (encore aujourd’hui) de 55 millions d’euros. Tellement ambitieux que la licence ne connaîtra que deux itérations, laissant les fans en suspens pendant près de vingt ans, sur une impression d’inachevé. La licence disparaît des radars avec la Dreamcast ! Ryo vengera t-il son père un jour ?

Rassurez-vous, nous devrions avoir la réponse dans un an (ah ouais, quand même !). Puisqu’après 20 ans de frustration, Shenmue III est annoncé pour l’an prochain (le 27 août 2019). Grâce à un Kickstarter porté par des fans en folie, Yu Suzuki est parvenu à lever les fonds nécessaires pour enfin achever son oeuvre. Le jeu sera distribué par Deep Silver.

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Mais revenons à nos moutons ! Car en attendant Shenmue III, ce sont biens les deux premiers épisodes que Sega et Deep Silver nous proposent de (re)découvrir aujourd’hui. Deux jeux qui, pour des raisons qu’il serait très long à expliquer, font aujourd’hui figure de véritables mythes du jeu vidéo… Non, Shenmue n’est pas un simple jeu vidéo… Shenmue est une légende, dont la simple évocation suscite respect et fascination.

Shenmue est un monument du jeu vidéo car il a ouvert de nombreuses portes. Notamment au genre aventure en monde ouvert ! Pour l’époque, il était aussi surprenant de voir autant de PNJ réunis dans le même périmètre. Il intégrait aussi la technologie « Magic Weather » capable de créer une météo dynamique très réaliste pour l’époque. Les phases d’exploration « free quest » alternaient avec les combats (free battle), ou les actions contextuelles en QTE. Vous l’avez compris : Shenmue a été un pionnier qui a ouvert la voie à de nombreux titres actuels !

Une histoire de vengeance

L’histoire de Shenmue tourne autour du personnage de Ryo Hazuki. Notre jeune japonais, reconnaissable à son jean délavé, son blouson de cuir et son pansement sur la joue, assiste impuissant au meurtre de son père, dans le dojo familial. Il se lance alors dans une grande quête de vengeance, afin de retrouver notamment le grand maître Lan Di, assassin de son père. Parallèlement, Ryo devra protéger le « miroir du phénix » , un artefact auquel Lan Di semble tenir tout particulièrement. Le but sera donc d’enquêter, afin de le traquer.

Dans le second opus, Ryo n’a toujours pas retrouvé l’assassin de son père. Sur sa trace, le jeu s’ouvre sur son arrivée à Hong-Kong. Une ville qui vous émerveille par ses couleurs et son animation… Mais qui vous fait déchanter au premier pickpocket venu ! Comme dans le premier opus, vous allez devoir mener l’enquête pour remonter la piste de LanDi…

Globalement, si le scénario du premier opus a un peu plus de mal à décoller que le second, nous avons ici affaire à deux histoires passionnantes. Et ce disque (à l’époque, chaque jeu tenait sur quatre CD) va vous faire voir du pays ! L’aventure débute dans la ville côtière de Yokosuka (au sud de Tokyo), et va vous faire découvrir ses quartiers : Sakuragaoka, Yamanose, Dobuita (des endroits qui existent dans la vie réelle)… Shenmue II démarre donc quant à lui à Hong-Kong, et vous emmènera jusqu’en Chine… Et il y a vingt ans, croyez-moi, voyager avec des graphismes aussi réalistes (pour l’époque), ce n’était pas donné à tout le monde ! Et l’immersion fait toujours son petit effet !

C’est un portage, pas un remake…

Que l’on soit bien d’accord ! Nous avons ici affaire non pas à un remake total des deux premiers épisodes de Shenmue… Mais bel et bien à un portage pour les normes HD. Et ça a son importance pour le reste du test. Car vous comprendrez que nous ne sommes pas ici dans le même contexte qu’avec un Yakuza Kiwami 2 (test à lire très bientôt), entièrement refait de A à Z ! Ne vous attendez-donc pas à des graphismes renversant en 4K, juste à une version originale améliorée.

Excepté un lissage de certaines textures, et une réduction de l’aliasing (les développeurs ont bossé à partir du portage Xbox de 2002 et 2003), le jeu reste donc quasiment identique à l’original. En témoignent les menus de réglages. Celui des commandes reprend le visuel de la manette Dreamcast… Et celui des sauvegardes est symbolisé par la VMU (carte mémoire) de la dernière console de Sega.

Jeu de l’an 2000

Les graphismes ont été lissés, mais l’interface est restée dans son jus. Le jeu conserve donc une grande partie de ses bugs : des PNJ qui apparaissent ou disparaissent comme par magie, des ralentissements lorsque le jeu doit afficher des particules (comme la neige)… Voire une latence plus ou moins marquée dans les mouvements de votre personnage.

Ici, c’est bien le sentiment de jouer en 2000 qui se ressent. Malgré le nettoyage du jeu, les polygones restent très apparents (surtout dans le premier opus), et les textures sont « so retro » ! Il en est de même pour la jouabilité, très capricieuse, qui m’a rappelé mes longues parties sur Resident Evil 1, à me battre avec le stick… Pas forcément que de bons souvenirs… Et je terminerai par le son, compressé et très mal échantillonné sur le premier Shenmue (mieux sur le second). Lui aussi semble provenir du siècle dernier.

Ce qui pourrait donc avoir du charme dans d’autres titres sera sans doute un handicap pour Shenmue. Les plus jeunes sont-ils prêts à investir du temps dans un jeu où les déplacements rapides n’existent pas ? Dans lequel on fait pas mal de va-et-viens ? Et dans lequel l’action n’est pas des plus soutenues (on passe même pas mal de temps à patienter devant une borne d’arcade, ou à se balader, quand on y pense) ?

… Mais il y a quand même du boulot derrière

Autrefois, Shenmue était développé par Sega AM2. Ce portage a été confié au studio D3T (Burnout Paradise Remastered, Sega Mega Drive Classics Collection…). Et comme je l’expliquais plus haut, Shenmue II aura connu en 2002 un portage sur Xbox (sous le nom Shenmue IIx) dont D3T a utilisé le code source pour cette nouvelle compilation. Ce qui explique sans doute que le premier opus semble ici avoir beaucoup plus mal vieilli que son successeur.

Au niveau du gameplay, et malgré la lourdeur parfois des personnages (je parle de jouabilité, on est bien d’accord), force est de constater que le trio « exploration/QTE/baston » fonctionne bien. D’ailleurs, au risque de comparer à outrance les deux titres de Sega, on sait que ce triptyque est l’une des clés du succès de Yakuza.

Et parmi les nouveautés ajoutées à cette nouvelle version, on notera la possibilité de jouer désormais au stick analogique, ou de pouvoir sauvegarder quand bon vous semble. Pour ce qui est des combats, les combos se déclenchent par des combinaisons de touches, à la manière d’un Virtua Fighter, avec quelques techniques à apprendre en chemin.

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On appréciera aussi le fait que les temps de chargement soient plus rapides. Ou que les développeurs aient conservé le mode photo (Shenmue II) ajouté dans la version Xbox. En revanche, on regrettera ici l’absence de contenu supplémentaire, propre à cette compilation ! Pour les fans comme pour les autres, quelques bonus auraient été fort appréciés.

Le gros du boulot réalisé concerne principalement l’affichage du jeu. Vous pourrez par exemple choisir de jouer en 16:9 ou de rester sur le 4:3 de l’époque (sauf pour les cinématiques qui restent dans leur format d’origine). Vous pourrez aussi choisir de jouer en haute résolution ou avec les textures d’il y a vingt ans, ou d’activer (ou pas) un flou lumineux.

Enfin, connaissant mon attachement pour les bandes-originales, sachez que l’OST de Shenmue est signée Yûzô Koshiro, Ryûji Iushi et Takeshi Tanagawa. Si l’OST du premier volet est réussie, celle du second opus est tout simplement magistrale ! Impossible de ne pas avoir de frissons lorsque l’on entend « Shenhua » ou « The Morning Fogs Wave » la première fois !

Shenmue, c’est comme dans la vie !

Ryo aurait pu être un super-héros qui vole, lance des lasers avec ses orteils, et balance des quiches atomiques sur fond de J-Pop ! Mais il n’en est rien ! Et notre héros n’est qu’un ado tout ce qu’il y a de plus classique. Un adolescent un peu timide, respectueux, droit, et un peu naïf aussi parfois ! Aussi, ce qui fait la force de ce voyage, c’est le réalisme de ses situations !

Ainsi, comme je l’ai écrit plus haut, Ryo peut parfois laisser sa quête de coté pour s’octroyer des petits moments de détente, en participant à des activités on-ne-peut plus classiques : jouer dans une salle d’arcade, faire son shopping, discuter avec des PNJ, jouer aux fléchettes… Shenmue n’a rien de surnaturel ! Et Shenmue, c’est tout simplement la vie !

Et la vie, c’est parfois « relou » ! Aussi, parmi les activités sus-citées, vous devrez également interrompre votre aventure pour trouver un moyen de gagner un peu d’argent… En participant à des courses ou des bras de fer clandestins… Ou en trouvant un p’tit boulot sur les docks (oui, je parle ici de Shenmue II, puisque dans le premier épisode, votre mère adoptive, Ine San, vous laisse de l’argent de poche chaque jour).

Le temps : ami ou ennemi ?

La météo dynamique et le défilement du temps contribuent à vous immerger dans un univers crédible. Certains magasins seront fermés si vous y passez le soir, ou la nuit. Et certains PNJ ne seront accessibles qu’à certains moments de la journée. De ce fait, vous allez sans doute parfois devoir « glander » (en jouant à un jeu vidéo ou en achetant des gashapons) le temps qu’une action soit disponible, à tel moment de la journée. De même, ici, on ne se déplace pas d’un point A à un point B d’un clic… On fait le trajet à pattes !

Mais attention ! Si le jeu vous donne l’illusion de disposer d’une très grande liberté, et si l’envie de finir les très nombreuses quêtes annexes est indéniable… Ne perdez pas de vue que votre liberté a des limites. Et notamment des limites de temps ! Attention, la remarque qui suit contient un spoiler si vous ne connaissez pas le premier Shenmue ! Mais lorsque je parle de limite de temps, sachez qu’il vous est fortement recommandé de finir le premier jeu avant la date du Mercredi 15 avril 1987 à 16 h (date in-game), sous peine d’assister à une fin tragique…

La marque de Sega

Sur certains aspects, le jeu est très marqué Sega, et propose des activités secondaires qui contribuent encore aujourd’hui au succès de jeux comme la série Yakuza. Je pense par exemple au fait que vous puissiez vous arrêter dans votre quête pour claquer votre argent dans les distributeurs de gashapons… Ou encore que vous puissiez faire une pause « jeux vidéo » dans des salles d’arcade pour jouer à Hang On, Space Harrier ou Out Run. Sega aime insérer ses jeux rétro dans des titres plus modernes 😉

Petit détail dont j’ai omis de vous parler : les deux jeux sont jouables séparément. Et vous pourrez donc débuter par le second, avant de vous plonger dans le premier, si vous le souhaitez… Ce que je vous déconseille fortement ! D’une part car, en toute logique, il est conseillé de les enchaîner dans l’ordre pour des raisons scénaristiques évidentes… D’autre part car Shenmue II vous propose de récupérer votre sauvegarde du premier opus. Ce qui vous permet entre autres de récupérer toutes les techniques apprises, et les objets collectés dans le premier épisode !

Au final

Quel plaisir que de redécouvrir, sur un seul CD, ces deux monuments du jeu vidéo ! On pourra dire ce que l’on veut, on ne peut qu’apprécier de redécouvrir ce qui demeure, à travers le temps, un hit… Pour ne pas dire un mythe ! Le scénario est toujours aussi efficace… Et porté par sa bande son remarquable, cette compilation nous offre un fantastique voyage !

Pourtant, malgré toute la bonne volonté de Sega, certains ne pourront s’empêcher de trouver ici un portage trop paresseux, qui se contente du minimum syndical. Et oui, je suis le premier à reconnaître qu’une telle légende aurait mérité un meilleur traitement. Mais ce CD ne doit pas être sorti de son contexte : encore une fois, nous parlons d’un portage et non d’un remake en HD ! Si les textures et les déplacements des personnages accusent souvent mal le poids des années, force est de reconnaître que les mécaniques des deux jeux sont encore efficaces, et plus modernes qu’on ne le pense.

Faut-il investir dans ce Shenmue I & II ? Si Sega ne nous avait proposé que le premier opus, aussi magnifique et culte soit-il… La note aurait sans doute été trop salée à mon goût, pour les raisons évoquées plus haut. Mais avec un fantastique Shenmue II dans le lot, ce CD devient une valeur sûre ! Un incontournable, que dis-je, un monument du jeu vidéo à découvrir ou à redécouvrir de toute urgence. À condition bien sûr de ne pas trop chipoter sur la réalisation technique !


Shenmue I & II

 

On aime :

  • Deux jeux mythiques sur un seul CD
  • Un scénario passionnant
  • Une ambiance asiatique aussi bonne que dans Yakuza
  • La bande-originale magnifique
  • Temps de chargement plus courts
  • Pouvoir mettre l’audio en Japonais
  • Sous-titres en VF
  • Des activités à foison
  • Shenmue II est excellent et maîtrisé

On aime un peu moins :

  • Graphiquement, le 1er jeu a pris un sérieux coup de vieux
  • La jouabilité un peu lourde
  • Les sons (dialogues) très mal échantillonnés sur Shenmue I
  • Le manque de bonus
  • Quelques bugs qui persistent
  • Quelques baisses de rythme.
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