Il y a les jeux vidéo qui nous offrent d’incarner des dieux, des héros surpuissants, des divinités blindées de superpouvoirs. Et puis il y a les jeux à message, qui nous rappellent ô combien l’être humain est un gros c.., seule espèce sur Terre capable de littéralement détruire son environnement (mais de faire plonger les autres espèces avec lui). After Us (Piccolo Studio) est de ceux là ! Sans être trop moralisateur, et avec beaucoup de poésie, il nous met face à nos échecs envers Dame Nature. Il fallait qu’on vous en parle.
Darwin avait-il raison ?
En 1859, dans L’Origine des Espèces, Charles Darwin nous explique que, selon lui, les différentes espèces qui peuplent la Terre (animales et végétales) ont dû changer et s’adapter aux variations de leur environnement pour pouvoir survivre. Que ces espèces sont en perpétuelle évolution, et que celles qui n’évoluent pas sont vouées à disparaître. En résumé. Aujourd’hui, sur Terre, on trouve une espèce qui vous parlera sans doute : Homo Sapiens. Une espèce si évoluée intellectuellement qu’elle s’est persuadée que c’est à son environnement de changer et de s’adapter à elle. Résultat : je ne vais pas vous faire un dessin, il suffit de regarder les actualités pour comprendre : réchauffement climatique, pollution de masse, extinction d’autres espèces… La liste est longue !
Maintenant que vous avez toutes ces notions en tête, on va pouvoir s’intéresser au scénario du jeu After Us. Le jeu nous emmène dans un monde à l’agonie, où l’Humanité a disparu, et s’est littéralement autodétruite. Emportant avec elle le reste de la vie. Les derniers animaux ont péri et Mère (la personnification de la Nature, ou de la Terre) a utilisé ce qui lui restait de force vitale pour sauver leurs âmes. Celles-ci sont désormais piégées dans leurs corps sans vie. L’homme est une maladie pour la planète, et si nous ne changeons pas, elle nous gommera tout simplement. Tel est le message du jeu. Gaïa, votre avatar qui est une sorte d’esprit de la Nature, a pour mission de libérer chacune de ces âmes pour les ramener à l’Arche de Mère.
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Découvrir l’état de la planète à travers les yeux de Gaïa, dans les ruines d’un monde ravagé par l’œuvre destructrice des humains et représenté dans un style artistique abstrait… C’est ce en quoi consiste l’invitation de Private Division. Qui ajoute : « After Us pose un regard sombre et triste sur un monde détruit par l’humain. En guidant Gaïa, vous découvrirez les causes de cette destruction et le destin des dévoreurs, source de l’extinction, mais également de progrès, d’amour et d’espoir. » Vous l’avez compris : le message écologiste est là. Mais malgré le tableau sombre qui nous est dépeint… On garde espoir, puisqu’au final, en vous glissant la manette entre les mains, le jeu vous demande si selon vous, l’Humanité mérite une seconde chance !
« Au cœur du jeu, nous posons avant tout la question de quel monde allons nous laisser derrière nous. Bien que le jeu puisse paraître déprimant par moments, nous voulons avant tout partager un message d’espoir et nous avons hâte de voir la réaction des joueurs. »
Jordi Ministral, directeur de jeu chez Piccolo Studio.
Le jeu est donc développé par Piccolo Studio, créé à Barcelone il y a 17 ans (les trois fondateurs bossent ensemble depuis 23 ans). Un studio que certains connaissent peut-être déjà, notamment pour une autre pépite vidéo-ludique : Arise… A Simple Story, publié en décembre 2019. After Us est édité par le New-Yorkais Private Division, une filiale de Take-Two Interactive créée en 2017. Un éditeur qui s’est spécialisé dans les petits et moyens studios indépendants. On le connaît surtout, entre autres, pour avoir distribué Kerbal Space Program, The Outer Worlds, ou encore le superbe Ancestors : the Humankind Odyssey.
Un monde à sauver
Bon, c’est pas tout ça, mais on a un monde à sauver ! After Us est un jeu de plateformes/aventure à la 3e personne. Et on espère que vous avez pu vous entraîner au parkour grâce à Star Wars Jedi : Survivor, car ici… Vous allez en faire quelques uns, des sauts au dessus du vide ! Gaïa peut sauter, planer, et va très vite développer de nouvelles aptitudes, comme un double saut, un wall-run ou un dash qui l’aideront à surmonter tous les pièges de ce monde dévasté. Plus tard, elle apprendra aussi à libérer des décharges d’énergie purificatrice, l’onde de vie, afin de restaurer la nature, ou repousser l’huile visqueuse qui consume le monde.
L’un de vos objectifs dans le jeu sera de retrouver les esprits d’animaux éteints, dont les âmes ne demandent qu’à être libérées. Il y en a plus de 100 à trouver : des chats, des écureuils, des poissons, des chevaux, des sangliers… Avec parfois des esprits majeurs qui « renaissent » lors de cinématiques plus spectaculaires. D’ailleurs, ces séquences nous offrent des instants terriblement émouvants puisqu’ils nous font revivre les derniers instants de vie de ces animaux. La dernière baleine harponnée, le dernier aigle en cage, le dernier cerf chassé… Le joueur ne peut pas rester insensible face à ces révélations qui nous mettent mal à l’aise. Mais qui gonflent à bloc notre compassion. Le joueur partage alors avec Gaïa cette envie de comprendre ce qui s’est passé, les causes de cette extinction, le sort des Dévoreurs, comment on en est arrivé là. À une différence près : Gaïa n’a rien à se reprocher, elle !
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Comme si les pièges mortels, le vide et l’huile noire ne suffisaient pas, vous allez aussi croiser des ennemis sur votre route. On les appelle les Dévoreurs. On dit qu’ils sont à l’origine de l’extinction, et ils continuent à parcourir le monde afin d’absorber les dernières vies restantes. Là encore, votre onde de vie sera très utile pour repousser ces agresseurs recouverts de pétrole, qui se ruent sur vous dès que vous entrez dans leur champs de vision. Le jeu propose aussi quelques énigmes à résoudre (rien de difficile). Et une fois que vous aurez percé tous les secrets du jeu, les pièces du puzzle pourront s’assembler pour vous raconter cette terrible histoire de l’Humanité.
Mais votre plus grand ennemi sera bien souvent la construction des niveaux, qui brille par sa variété, mais parfois aussi par sa complexité. Le level-design se réinvente et tue dans l’œuf l’idée même de routine, ou de jeu à couloir. Tant par les différents biomes traversés que par leur architecture, ou la liberté qu’il vous laisse parfois. Mais certains passages verticaux sont plus difficiles à aborder. La faute à une caméra qui n’offre pas toujours l’angle idéal. Et il n’est pas rare de recommencer plusieurs fois un saut parce que plusieurs essais se soldent par une chute libre. Et ceci malgré le halo qui indique où se trouve Gaïa lorsque vous sautez.
Un style visuel comme on aime
Le jeu se démarque par son style graphique. Un style aussi épuré qu’abstrait, avec des carcasses de voitures ou des tronçons d’autoroute en suspension au dessus du vide. Ça peut surprendre au premier abord, mais on entre vite dans cet univers sombre. Et on comprend très rapidement que cette approche visuelle sert un scénario qui se veut triste, mais aussi porteur d’un message d’espoir et d’amour. À l’image de cette huile noire dégueulasse qui se change en prairie verdoyante, avec ses arbres, lorsque Gaïa libère son onde de vie. Une petite séquence de gameplay qui, je vous l’assure, offre une grosse respiration au joueur. Au sens propre comme au sens figuré.
Et c’est une force du jeu : son style visuel sert à la fois le gameplay (toutes ces « bizarreries » sont au cœur même du level-design) et le scénario. Le rendu visuel parle mieux que tous les résumés du monde. Il nous plonge dans un monde détruit, ou plutôt ravagé par les humains… Mais il le fait avec beaucoup de poésie. After Us est une fable, une histoire imaginée de toute pièce mais qui nous interpelle car elle pose le doigt sur nos erreurs, sur notre comportement autodestructeur. Pour autant, avec son ton poétique, ce conte n’est pas moralisateur pour autant. C’est un jeu Piccolo Studio, et si vous avez joué à Arise, vous savez déjà que cette histoire va vous émouvoir, vous toucher au cœur.
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Au niveau de la technique, le jeu est très réussi et sa jouabilité pourrait presque donner des leçons à d’autres titres. Les développeurs cassent les codes du genre, et c’est tant mieux ! After Us regorge de bonnes idées sur le plan visuel, malgré sa sobriété graphique. Par exemple, comme je l’ai écrit plus haut, un halo lumineux vous permet de localiser Gaïa lorsqu’elle saute. Un choix malin qui nous aide lors de certains passages compliqués. On pourrait aussi évoquer la disparition de la traditionnelle barre de vie. Ici, c’est l’image qui s’assombrit au fur et à mesure que votre santé se dégrade. Et en cas d’échec, vous réapparaissez au dernier check-point, donc pas très loin de là…
Visuellement, le jeu joue la carte de la sobriété. Ce qui ne signifie nullement qu’il n’est pas magnifique. Notamment pour ses animations, ou ses jeux de lumière très réussis. Le tout est fluide, malgré une ou deux légères chutes de framerate, sur un titre que nous avons eu la chance de tester avant son patch day-one. Enfin, on pourra aussi parler de la durée de vie du jeu : entre 10 et 15h pour en voir la fin et choper les près de 200 collectibles, c’est très correct… Mais vu le contexte et le voyage proposé, on aurait volontiers accepté un peu de rab’ !
Au final
Puisque l’on a beaucoup parlé d’écologie dans ce test, on va enfoncer le clou encore un peu : After Us est sorti le 23 mai. Soit un peu plus de deux mois avant le 28 juillet qui, en 2022, était le jour du Dépassement mondial (2 mai 2022 pour la France seule). Soit le jour où l’Humanité a consommé la totalité des ressources que la Terre peut produire en un an. Et donc le jour à partir duquel nous vivons « à crédit » ! Les deux n’ont rien à voir, mais il était important de le rappeler. Cependant, sachez qu’à l’occasion de la sortie du jeu, Private Division a fait un don à The Nature Conservancy. Une organisation dédiée à la protection de la nature et à la lutte contre le changement climatique. Fin de la parenthèse !
After Us est bien plus qu’un jeu vidéo. After Us est un moyen de nous passer un message fort, de nous pousser à nous remettre en question sur la question de l’environnement. De notre façon de traiter notre belle planète, et ses habitants. Il met mal à l’aise, il nous fait nous sentir coupable, sans pour autant se positionner comme un donneur de leçons. Bien au contraire, After Us est plein de bienveillance. Et derrière l’image d’une planète sacrifiée et saccagée par notre surconsommation, il nous parle d’amour, et surtout d’espoir. Au delà du terrible constat, il nous fait prendre conscience qu’il nous reste peut-être encore une chance.
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Si Take Two Interactive peut bomber le torse sur le marché des Triple A avec ses jeux 2K Games ou Rockstar, il ne faut pas négliger Private Division et ses pépites indés. Après Arise, Piccolo Studio récidive en nous proposant ici un jeu émouvant, poétique, pour ne pas dire marquant, car porteur d’un message fort. Au point qu’on peut vous le dire en toute sincérité : After Us compte parmi nos coups de cœur de l’année, et il est sans doute l’un des titres les plus mémorables de 2023. Et on lui souhaite de récupérer quelques récompenses… Un must-have !
After Us
- Par : Piccolo Studio, pour Private Division
- Sur : PC, PS5 et XBox Series X/S.
- Genre : aventure à la 3e personne
- Classification : PEGI 12
- Prix : 29,99€
- Conditions de test : testé sur PS5, sur une version dématérialisée fournie par l’éditeur
Points positifs :
- La direction artistique
- La bande-son
- Le scénario, un message écologique fort et touchant, qui pousse à se remettre en question
- Plein de poésie
- Un gameplay aux petits oignons
- Des énigmes, des récits à trouver, des âmes à libérer… De quoi occuper les complétistes
- Prix mini
Points négatifs :
- Quelques soucis de caméra
- Deux ou trois chutes de framerate repérés
- Durée de vie un peu courte