Si vous êtes fan de jeux de simulation, vous n’êtes pas sans savoir que le dernier Geopolitical Simulator, intitulé Power & Revolution, est disponible sur PC depuis la semaine dernière. En attendant la parution de notre test, c’est André Rocques qui nous en parle aujourd’hui. Avec son frère Louis-Marie, il est le co-fondateur du studio Eversim, qui signe ce passionnant simulateur géopolitique. Rencontre. 

Bonjour, pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre rôle au sein de l’équipe d’Eversim ?

Bonjour, je suis André Rocques, le concepteur principal de la série de jeux Geopolitical simulator.

Et Eversim ? Pouvez-vous brièvement nous présenter ce studio français, réputé pour ses simulations, mais aussi pour ses logiciels d’apprentissage ?

Eversim a été créée en 2004. Avec mon frère Louis-Marie, nous sommes les anciens fondateurs de la société Silmarils, société qui a créé de nombreux jeux entre 1987 et 2003, notamment la série des jeux de rôle Ishar (pour les plus anciens).

Eversim s’est spécialisée dans la simulation pointue et travaille également dans le serious gaming. Nous avons entre autres travaillé pour l’OTAN (simulation de crise géostratégique) et EDF (formation/simulation de crise).

L’info qui nous amène aujourd’hui, c’est la sortie de Power & Revolution. Autrement dit « Geo-political Simulator 4 ». Pourquoi avoir changé son nom ?

Chaque produit de la série « GPS » a un titre, pour mieux les distinguer. Ici, le thème principal des nouvelles fonctionnalités touche à la gestion de l’opposition et au renversement des pouvoirs, d’où ce nom Power & Revolution.

A quel public se destine ce jeu ? A un public très ciblé (étudiants en histoire ou en géopolitique) ou bien est-il accessible à tous ?

C’est un jeu très grand public, accessible à tous à partir d’un certain âge, mettons à partir de 15 ans environ.

Il existe différents niveaux de difficulté permettant de jouer plus ou moins confortablement. Au niveau facile, un professeur vous guide et vous explique les principaux phénomènes, économiques et politiques.

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Les différentes problématiques qu’il aborde pointent des sujets graves (on y parle de conflits, voire de guerre, des différentes situations économiques des pays, etc). Dans le contexte actuel, n’est-ce pas compliqué de développer une telle simulation tout en se disant que le but est de créer un « jeu » vidéo ?

Notre jeu est une simulation calculatoire et scénaristique. Suivant les décisions, les données sont modifiées et occasionnent le lancement de scénarios, mais nous ne traitons pas d’une réalité visuelle concrète : ainsi, s’il y a une catastrophe naturelle par exemple, le jeu donne un bilan de cette catastrophe, et le journal et les ministres, ou autres intervenants nationaux et internationaux, réagissent en fonction de votre gestion de cette catastrophe. Mais nous ne verrons pas dans le jeu concrètement des images réalistes de destruction et de cadavres.

Le jeu simule un contexte et peut avoir, dans ce cadre, une portée pédagogique.

Le ton utilisé dans les dialogues et les articles reste un brin cynique avec le monde politique (qu’on retrouve dans les séries TV dédiées à la politique) ; de ce côté là, nous montrons une certaine réalité pas toujours réjouissante de cet univers.

Côté wargame, tous les protagonistes (pays souverains ou groupes illégaux terroristes) qui disposent d’un territoire identifiable sont gérables, mais cela uniquement sur le plan militaire. Bien évidemment, il n’est pas question de simuler un groupe terroriste et d’organiser des attentats ou d’autres actions terroristes, seules les actions militaires et les calculs sur les financements possibles sont intégrés. Une nouvelle fois, cela permet de mieux décoder les situations complexes de notre monde.

De la même façon, tous les pays sont jouables, quels que soient leur régime et donc y compris les régimes autoritaires, mais là aussi, le jeu se limite aux décisions politiques et n’aborde pas les thèmes moralement inacceptables (l’usage de la torture par exemple).

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On comprend que le jeu tient à coller au maximum à la réalité. Les dernières données qui y ont été incorporées ont été mises à jour au 1er janvier 2016. Mais le soft sera aussi confronté aux choix des joueurs. Ils ne suivront peut-être pas les orientations géopolitiques telles qu’elles ont évolué depuis, dans la réalité. Comment gérez-vous cet aspect ?

Le moteur du jeu calcule à chaque tour toutes les évolutions des centaines de milliers de variables. En fonction des actions du joueur mais aussi de l’intelligence artificielle, qui prend en main les autres chefs d’état du monde et les quelques 200 personnalités influentes pour chaque pays.

La base de scénario, qui regroupe 16000 textes, réagit en fonction suivant le niveau de ces variables, mais aussi spécifiquement sur des actions ponctuelles du joueur. C’est très complexe, il faut faire attention à ce que le moteur « ne nous échappe pas » et border certains scénarios.

Cela donne une grande richesse au jeu car, effectivement, les joueurs pourront se créer des situations inédites. Et vu le nombre de scénarios, pays et groupes jouables, et actions disponibles, il est facile de se retrouver dans une situation que personne n’a encore obtenue.

Autrement dit, dans une simulation (qu’il s’agisse de P&R ou d’un autre simulateur), où se situe la frontière entre le virtuel et la réalité ? Et comment les programmeurs déterminent-ils cette frontière ?

Sur le fond, les questions que l’on se pose lors du développement de l’IA, c’est que doit penser et comment doit réagir telle organisation, ou telle ou telle personne dans une situation donnée (en dehors de toutes considérations personnelles bien sûr). Il faut coller à la logique et rester objectivement neutre.

Également, comme dit précédemment, le ton utilisé dans les textes permet de développer l’humour et d’avoir un certain décalage.

Le titre aborde de très nombreux aspects, tels que les conflits en Syrie, Irak, Lybie, Nigéria…), l’élection aux USA, le « mariage présidentiel » en France… Y a t-il des thématiques que vous vous êtes interdits, ou vous a t-on demandé de ne pas traiter des thèmes en particulier ?

Etant développeurs indépendants, nous ne souffrons d’aucune censure ni pressions extérieures.

Nous recevons parfois des mails de certains joueurs demandant de prendre en compte telle ou telle situation. Par exemple la reconnaissance du rattachement de la Crimée à la Russie. Dans tous les cas, nous étudions le problème. Et nous rattachons à la position la plus commune, souvent celle de grandes institutions (l’ONU notamment).

Concernant les limites des thématiques abordées, cela rejoint notre réponse à la question 5.

Les jeux de simulation sont très populaires et nombreux sur PC, mais beaucoup plus rares sur consoles (alors qu’il existe pourtant un public, qui les accueille à bras ouverts lorsqu’ils sortent). A quand des jeux Eversim sur consoles ?

L’investissement pour porter le jeu sur console n’est pas négligeable et nous n’avons eu que peu de demandes de joueurs à ce jour. Toutefois, c’est une idée à creuser.

Peut-on parler des projets ? Le prochain gros simulateur à surveiller ?

On ne peut pas dévoiler pour l’instant nos futurs projets. A savoir toutefois que nous préparons, en ce moment, des add-ons pour GPS4 qui sortiront dans les prochains mois : « Modding Tool » pour créer ses propres scénarios, « God & Spy » pour manipuler le simulateur durant une partie, « Global War » mode de jeu en réseau (orienté wargame).

Parlons maintenant de vous : depuis quand travaillez-vous pour Eversim ?

Eversim a été créée en 2004 par mon frère et moi même.

Et votre rapport avec le jeu vidéo ? Etes vous un gamer ? Si oui, vous souvenez-vous depuis quand ?

Je joue depuis que Space Invaders existe (découvert lors d’une traversée de la manche sur un Sealink). J’ai édité mon premier jeu à l’âge de 18 ans, en 1983, et c’était déjà une gestion de pays…

Mon frère, Louis-Marie, est notamment l’auteur de jeu « l’aigle d’or », premier Tilt d’Or (Tilt, grand magazine du jeu vidéo des années 80-90) du jeu vidéo. Et premier jeu dans lequel on pouvait se déplacer dans la profondeur (on appelait cela le 2D ½ ).

Après plusieurs années en tant qu’auteurs indépendants, on a créé notre propre société d’édition intitulée Silmarils, qui a développé une trentaine de produits, principalement des jeux d’aventures et de rôles.

Si vous ne deviez retenir qu’un seul jeu vidéo (toutes époques et tous supports confondus), lequel serait-ce ?

Il me semble que « Wolfenstein 3D » est le jeu qui a ouvert la voie à la 3D temps réel en vue premiere personne, précurseur des FPS qui, aujourd’hui, atteignent des sommets en terme de popularité (et c’est pas fini avec l’arrivée de casques virtuels !)

Et si vous deviez citer, pour vous, une référence de la simulation ?

Une référence ancienne et parfois méconnue est un jeu nommé « Wilderness ». Une simulation de survie sortie dans les années 80 sur Apple 2. C’est ce jeu qui inspira deux de nos titres : « Robinson’s Requiem » (1994). Puis sa suite « Deus Ex Machina » (1996) chez Silmarils.

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Qu’est-ce qui serait, pour vous, la simulation ultime ? Celle que vous rêvez de développer ?

Si tous les personnages virtuels présents dans Power & Revolution pouvaient être incarnés par des joueurs humains, cela amènerait une expérience de jeu plus vivante et réaliste.

Sur cette idée simple de faire une version MMO pour notre série GPS, beaucoup d’obstacles, notamment de gameplay (par exemple rythme de jeu, nombre de parties différentes, vitesse du temps, distribution des rôles,…), rendent sa réalisation complexe.

Une première approche a cependant été faite avec notre jeu World of Leaders (www.world-of-leaders.com) qui pourrait peut-être évoluer ou être approfondi…

En ce moment, tout le monde parle de « VR »… Est-elle adaptée au genre « simulation » ? Avez-vous déjà des idées pour nous plonger dans une simulation en réalité virtuelle ?

Toute simulation liée au « pilotage » et/ou en première personne est idéalement adaptée au VR. Simulateurs de vols, de conduite, ou de combat militaire sont plus que jamais utilisés par les secteurs professionnels concernés.

Toutefois, notre simulateur GPS n’a pas, sur le fond, cette approche car il s’agit d’un jeu de gestion et de stratégie.

Enfin, je vous laisse quelques lignes pour que vous expliquiez à nos lecteurs les raisons pour lesquelles ils doivent jouer à Power & Revolution : 😉

Aujourd’hui, dans le monde réel, il est difficile de devenir un chef d’état, encore plus dur de le rester, et encore plus de mener une politique à la fois populaire et efficace : vous, Président (ou opposant et donc futur président), y parviendrez-vous ?


Pour aller plus loin

Un grand merci à André Rocques (Eversim), et à Marion (de l’agence Minuitdouze) pour leur disponibilité.