Le studio français Microïds vient de sortir, début février, le jeu d’aventure/enquêtes Agatha Christie : the ABC Murders. L’occasion d’échanger avec Alexandre Migeon, « chef de projet ». Derrière ce titre, un chef d’orchestre dont le rôle est de coordonner les équipes et toutes les étapes de création du jeu. Rencontre.

 Alexandre, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis chef de projet pour le studio français Microïds. Mon rôle est de piloter le studio et tous les intervenants qui gravitent autour du développement du jeu.

Quel a été votre parcours ?

Je fais partie de ces rares spécimens qui ont abandonné le lycée pour aller travailler dans le jeu vidéo. J’ai commencé à la fin des années 90 en tant que testeur chez Infogrames. Puis, j’ai quitté le service « assurance qualité » d’Infogrames pour intégrer Power and Magic Development (PAM)… C’est la société qui a édité Ronaldo V-Football, sur PS1, ou encore la fameuse série de tennis Top-Spin.

Puis, j’ai intégré Magic Pocket, la société-fille de PAM. Nous étions cinq au départ… Huit ans plus tard nous étions 50 !  Cela a été une véritable progression en termes de responsabilités ! J’y ai fait du game-design, du level-design, encadré des développeurs…

En 2009, j’ai intégré Anuman, en qualité de chef de projets et de produits, pour des titres sur PC, Mac, Nintendo DS. Mon rôle était de piloter les studios et les intervenants, de travailler avec les équipes commerciales… Enfin, je suis arrivé chez Microïds (le label « jeux » d’Anuman), avec pour objectif de relancer cette entité, lui permettre de retrouver ses lettres de noblesse d’éditeur de jeux d’aventure…

Qu’est-ce qui démarque les jeux d’aventure de Microïds ? Dans quel état d’esprit développez vous ?

Notre objectif est de proposer des jeux à forte valeur ajoutée, avec du contenu, un vrai scénario, de la couleur, une manière de produire… Nous mettons l’accent sur ces aspects.

L’actualité de Microïds, c’est la sortie (début février) de Agatha Christie : The ABC Murders. On devine le travail énorme derrière un tel titre. Combien de temps a nécessité son développement ?

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Entre le moment où nous avons annoncé que nous allions développer le jeu et sa sortie, il s’est écoulé à peu près deux ans. Nous avons signé les droits d’exploitation de la licence fin 2013-début 2014, puis la préparation a duré entre trois et six mois. S’est ensuite ajoutée une année pour le développement et la production, puis encore six mois pour finaliser et pour les play-tests.

Il faut compter entre 15 et 20 personnes pour le développement, une dizaine pour les voix (en Français et en Anglais, certains font parfois deux voix), un ingénieur du son, l’encadrement pour les acteurs… Et puis, il y a des taches comme l’animation ou l’affichage, qui ont été confiées au studio Artefacts, qui a assuré le plus gros du développement du jeu…

On pourrait aussi parler des phases « pré-prod » comme le game-design ou la préparation des fonctionnalités, ou les phases « post-prod » avec les équipes d’assurance-qualité, une étape très importante car nous voulions sortir un jeu conforme, sans bugs.

On peut dire que, si nous avons aussi travaillé avec des Anglais, Agatha Christie – The ABC Murders est un jeu produit en France, et développé en France.

Lire aussi notre test du jeu

Avez vous été confrontés à des contraintes particulières ?

La première chose qui a été établie, c’est que nous allions adopter le cell-shading, avec les conséquences sur la technique. Nous voulions un jeu fluide, visuellement et techniquement, avec un framerate constant. Nous avons fait des choix pour que tout le monde puisse profiter du jeu, car tout le monde ne joue pas en HD : les éditeurs ont tendance à l’oublier, et affichent plein de détails à l’écran. Mais nous avons voulu concevoir notre jeu pour que le joueur qui joue sur un écran PC de 13 pouces, ou sur une TV 23 pouces puisse aussi en profiter !

Nous avons beaucoup travaillé sur les contours noirs autour des personnages, calculés en temps réel, ou encore sur les jeux de lumière, le rendu visuel. Au final, quelle que soit la taille de l’écran, nous n’avons pas quelque chose d’incohérent.

Pour le moteur du jeu, nous n’avons pas voulu perdre du temps à réinventer la roue ! Nous avons utilisé le Unity Engine, très performant et correspondant à nos besoins.

Quel est l’esprit de The ABC Murders ?

L’idée était de proposer un jeu accessible à tous, en offrant une bonne expérience de jeu. Le joueur doit comprendre et avoir l’impression de résoudre une énigme. Même si on y parle de meurtres, c’est un jeu familial ; on peut se passer la manette pour progresser. On se creuse la tête avec des énigmes et des puzzles, mais sans s’arracher les cheveux, il n’y a rien de frustrant ! Cependant, vos choix peuvent parfois vous conduire vers différents cheminements.

Et si vous avez loupé un épisode, ou si vous reprenez le jeu après deux mois de pause, nous avons intégré une storyline, un mode permettant de revivre les épisodes.

Nous nous sommes attachés à respecter l’esprit des romans d’Agatha Christie, de la licence. Comme dans les polars, l’intrigue tourne autour d’un nombre réduit de personnages, entre 8 et 15, mais avec des personnalités et des rapports complexes. Pour Hercule Poirot, nous ne pouvions nous permettre de réinventer le personnage, et avons repris ses caractéristiques, ses traits de caractère… Ne serait-ce que quand il marche.

Ce n’est pas forcément facile à restituer dans un jeu vidéo, mais nous espérons que ce titre procurera une expérience agréable aux joueurs.

Bien que très présent sur PC, le genre semble sous-représenté sur consoles. Est-ce une porte qui s’ouvre ?

A un moment, notamment avec des éditeurs comme Cryo, il y a eu une surenchère des jeux d’aventure. Il y avait plus de jeux que de ventes, et cela a fait énormément de mal au genre. Aujourd’hui, l’offre est plus restreinte, et Microïds en a profité pour apporter son expérience et sa patte.

Il existe de bons jeux d’aventure, comme Life is Strange ou les jeux TellTales. L’accessibilité est une force des Chevaliers de Baphomet. Frogwares a développé un Sherlock Holmes, qui se voulait accessible, mais le jeu était en 3D avec vue à la troisième personne, et au final pas si évident à jouer avec sa caméra libre…

Chez TellTales, on pourrait aussi citer The Wolf among Us : c’est le « degré zéro » en termes de mécaniques de gameplay, mais il offre satisfaction et plaisir sur la narration, et l’on assiste à une vraie évolution des personnages. C’est ce que nous avons voulu restituer.

Au début de la conception du jeu, nous avons regardé les précédents titres « Hercule Poirot ». Mais nous avons vite refermé le dossier, car ils ne faisaient pas vraiment honneur à la licence.

Nous voulions nous démarquer des autres par une identité visuelle, et encore une fois par une grande accessibilité. Redonner une image au jeu d’aventure, une manière de s’exprimer.

Pour terminer sur Agatha Christie – The ABC Murders, que faut-il en retenir ?

Après Sybéria et L’Amerzone, il y a eu quelques années sans actualité pour Microïds. Mais ce titre marque le grand retour du studio. Il est la démonstration de notre savoir-faire… Microïds est de retour !

Avec d’autres projets dans l’année ?

Il y aura deux gros jeux d’aventure, à venir sur consoles et PC. Nous allons sortir tout d’abord Yesterday Origins, un jeu avec sa propre personnalité, avec un vrai univers et un scénario très travaillé. Il marquera un retour au jeu à l’ancienne, avec un scénario et des mécaniques plus difficiles. Son Pegi sera sans doute plus élevé que celui de The ABC Murders.

Et puis, en fin d’année, il y aura également Sybéria 3, avec des graphismes et des environnements très développés. Il est très attendu.

Parlons maintenant du « gamer ». Vous souvenez-vous de votre première expérience vidéo-ludique ?

C’était bien avant l’Atari 2600 ! C’était précisément sur une Intellivision !

Votre première console ?

Ma première console était une Atari 2600.

Des jeux de prédilection ?

J’ai commencé à jouer vers 7 ou 8 ans. Donc, j’ai beaucoup joué, voire trop. Aussi, j’ai touché à presque tous les titres, je suis un joueur éclectique. J’ai joué à beaucoup de RPG, jeux d’aventure, de simulation, sur les consoles à succès ou en échec. On peut dire que j’ai joué de 7 à 31 ans !

Si vous deviez retenir un jeu vous ayant marqué  ?

Je pense que ce serait Macadam Bumper (1985-1986), un jeu de flipper sur Amstrad. Il proposait un éditeur qui permettait de concevoir son propre flipper. Je pense que ce jeu a été un déclencheur. Il m’a donné le déclic pour la conception d’éléments interactifs.

Il y a eu ensuite des jeux d’aventure comme Maniac Mansion : une claque sur les possibilités d’interaction, il a marqué un pas dans l’évolution du jeu vidéo.

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Sans parler des jeux qui vous concernent… Sur le développement de quel titre auriez-vous aimé travailler ? 

Ce n’est pas une question facile, il y en a tellement ! Je pense que j’aurais aimé travailler sur Metal Slug, un challenge à la fois de gameplay et de technique, un titre intéressant à la fois en termes de jeu et d’encadrement ! Aussi puissante qu’elle était, la Neo-Geo avait ses limites…

Site officiel de Microïds   Page d’Agatha Christie : The ABC Murders

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Bonus : pourquoi faut-il suivre Microïds cette année ?

Vous l’aurez compris, comme le dit Alexandre, Microïds est de retour ! Le studio nous a déjà convaincus avec The ABC Murders (test à lire prochainement), mais ce n’est pas terminé ! Cette année, trois titres vont débarquer sur PS4, Xbox One, Mac et PC. Et croyez moi, chaque annonce nous a donné la banane. On en salive déjà !

I – Yesterday Origins

Dévoilé lors de la dernière Gamescom, Yesterday Origins est piloté par Microïds et Pendulo. Dans ce jeu en 3D (mais néanmoins avec des graphismes proches du dessin animé), le héros John Yesterday et sa compagne vont voyager, autour du Monde, mais aussi dans le temps (présent et Moyen Âge). Les premières images font déjà envie, non ?

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II – Moto Racer 4

S’il est un jeu de courses sur lequel j’ai dû passer des journées entières, sur PS1, c’est bien Moto Racer. Tout simplement excellent ! La licence nous a donné une trilogie hélas un peu tombée dans l’oubli par la suite… Jusqu’à l’automne prochain ! Car les feuilles mortes ne seront pas les seules à tomber : les motards du dimanche devront apprendre à maîtriser leur grosse bécane pour ne pas finir dans le gravier !

Le guidon est ici tenu à quatre mains, par Microïds et Artefacts. Moto Racer 4 proposera toujours une alternance de courses sur bitume et de cross. Parmi les nouveautés prometteuses, l’éditeur explique que chaque concurrent aura sa propre personnalité et que, si vous pouvez faire de sales coups à vos adversaires, ils sauront s’en souvenir ! Miam !

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III – Sybéria 3

Alors là, c’est le ponpon ! Sybéria est sans doute l’une des meilleures séries du genre. On ne parle plus ici de « jeu vidéo », mais de « jeu culte », ce n’est pas pareil ! Dans ce troisième épisode, Kate Walker passe en 3D, pour vivre une grande aventure qui commence aux cotés des Youkol, ce peuple nomade croisé dans Sybéria 2…

Je ne sais pas vraiment ce qui est le plus alléchant dans ce titre : son scénario ? Sa direction artistique signée Benoit Sokal ? Sa bande-sonore ? Je n’aime pas porter de jugements sur un jeu avant de l’avoir entre les mains, mais je pense pouvoir prédire que nous avons sans doute ici l’un des meilleurs titres de 2016 (c’est du moins un titre que j’attends avec impatience, la cerise sur le gâteau serait que Microïds édite également un artbook et l’OST en CD 😉 .

Enfin, notez que la bande-son sera signée Inon Zur, le compositeur qui nous a littéralement scotchés sur Fallout 4, ou encore sur Dragon Age ! Le jeu est attendu pour la fin de l’année…

Forgeron
Restaurateur
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Camp Youkol – Forge
Ebeniste

Pour terminer, un grand merci à Alexandre et Cyril (Microïds), ainsi qu’à Clément (VPCom) pour leur disponibilité 😉