L’entrée en accès anticipé de WinThatWar! (le 7 avril), est l’occasion de revenir plus en détails sur ce prochain MMO « tactique en temps réel », attendu sur PC. Visuellement, le soft nous entraîne dans un univers futuriste délicieusement rétro. Et c’est le « boss » du studio breton Insane Unity, Samuel Hangouët, qui se prête au jeu des questions-réponses. Rencontre.

Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter ? Qui êtes vous et quel est votre rôle dans l’équipe ?

Je m’appelle Samuel Hangouët, je vis à Rennes et je suis l’un des co-fondateurs d’Insane Unity. Dans le studio, j’ai deux rôles : comme développeur, je travaille sur l’intelligence artificielle, la game-logic et l’interface tactique, mais je suis aussi le « CEO ». L’acronyme en jette mais en pratique c’est une Business Card, et beaucoup de tâches administratives dont je préférerais avoir à me passer…

Samuel Hangouët Win that War

Samuel Hangouët, CEO de Insane Unity

Continuons avec les présentations. Pouvez-vous nous parler du studio ?

Insane Unity a été créé officiellement début 2015, mais le projet remonte à plusieurs années. Christophe et moi, nous nous connaissons depuis bientôt 15 ans. Peu après notre rencontre, nous songions déjà à la création d’une entreprise autour du jeu vidéo. Un passage par une startup nous a permis de désacraliser les créateurs d’entreprise : nos chefs étaient des gens normaux, alors pourquoi pas nous ?

Dès lors, avec deux autres collègues nous nous sommes lancés dans l’aventure. Nous avons choisi le nom d’Insane Unity car le concept « d’unité furieuse » collait bien avec notre vision : nous voulions relever des défis en apparence impossibles, grâce à une coopération étroite, et un esprit métal.

Mais il est très dur de travailler sur son temps libre sur une très longue période de temps. En 2013, le projet commence à s’essouffler. Revenus à deux, nous changeons de concept de jeu et nous nous mettons en quête d’un artiste (comme tous les devs qui se lancent dans un projet de jeu…)

Début 2014, nous avons la chance de rencontrer Sylvain. Après une année au chômage, hébergés gracieusement dans les locaux de Rennes Atalante, nous arrivons à un premier prototype de RTS jouable, basé sur notre moteur, et déjà dans le style rétrofuturiste. Nous présentons le jeu aux Utopiales, et c’est le déclic : notre stand est squatté par des gamins qui kiffent le jeu, et cela nous décide à passer à l’étape suivante.

L’étape suivante ? On ne fait pas un MMO-RTS à trois. Il s’agit d’aller chercher du renfort, des compétences complémentaires, et donc des fonds. En 6 mois, nous sommes parvenus à construire une levée de fonds pour recruter l’équipe : cinq développeurs, un game-designer, un concept-artist, un sound-designer, un artist 3D et une chargée de comm/community manager.

L’équipe d’Insane Unity

Qui est « né » le premier ? Insane Unity ou Win that War ! ?

Le projet Insane Unity est né avant WTW, mais c’est WTW qui en a permis la création. Le concept est né mi-2013, quand nous nous sommes rendu compte qu’il manquait une pierre à l’offre des jeux de stratégie en temps réel, et que nous avions très envie d’apporter la nôtre.

Win That War ! est donc le premier jeu d’Insane… D’ailleurs, un tel développement, combien ça coûte ?

Le développement d’un RTS est très complexe, tout comme celui d’un MMO. Alors les deux à la fois… Nous avons rapidement renoncé à utiliser un moteur sur étagère. Les contraintes issues du game-design de WTW nous ont amenés à développer un nouveau moteur, doté d’un assemblage de technologies home-made.

En vrac : une pile réseau innovante, un moteur graphique state-of-the-art ou presque, une techno de Virtual Procedural Texturing qui permet de générer en temps réel des centaines de kilomètres carrés de terrain, un moteur physique rapide et déterministe pour les besoin du lock-stepping, une IA qui aide le joueur à micro-gérer ses unités sans toutefois lui ôter l’impression de contrôle, un moteur d’interface graphique permettant de faire de beaux effets vectoriels…

Nous avons montré à un investisseur tout ce dont nous étions capables, et surtout notre très grande détermination à ne pas cesser de nous améliorer dans toutes les domaines nécessaires pour gagner de l’argent en faisant du jeu vidéo. Il nous a pris au sérieux. Nous avons complété avec des aides d’état (BPIFrance, Bourse French Tech), des prêts et des apports personnels (les primes de licenciement de notre taff d’avant).

Le budget du développement de WinThatWar! et du moteur Insanity atteignent environ 800.000€. Cela vous semble énorme ou très faible ? Quand on doit payer le salaire de 10 personnes, du matériel, des licences, des locaux, et rembourser de gros prêts, ça par très très vite… mais c’est dérisoire à côté du budget de beaucoup de jeux auxquels vous jouez.

Parlez-nous du concept du jeu… De quoi s’agit-il ?

Dans WinThatWar!, vous commencez votre épopée spatiale en tant que simple employé d’une entreprise tentaculaire. Chaque jour, des planètes sont découvertes à la périphérie de la galaxie, et votre employeur vous y envoie pour prendre le contrôle de leurs richesses. Le Bureau Galactique autorise ces multinationales à se livrer la guerre par robots interposés jusqu’à ce que l’une des factions en prenne le contrôle, et pendant une durée maximale prévue à l’avance (une à deux semaines).

Une fois sur place, vous n’êtes pas seul : des milliers de joueurs se retrouvent à lutter en temps réel pour la conquête des planètes.

Pour faire court, le jeu permet de construire des bases et des armées robotiques pour vous défendre mais aussi pour aller exterminer l’ennemi qui tenterait (le vile faquin) de récolter les précieuses ressources à votre place.

La conquête de territoires au nom de votre faction et la récolte de ressources vous permettent de vous enrichir et de débloquer de nouveaux bâtiments et unités. La conquête de planètes vous permet de monter en grade dans votre faction, et d’accéder à des capacités spéciales.

On pourrait aussi parler du scénario, puisqu’il sera ici question de « guerre galactique » entre différentes factions. Peut-on en dire plus sur les raisons de chacun ? (une question de ressources comme dans Command & Conquer ?) Et pourquoi non pas deux, ou quatre, mais trois camps ?

Que ce soit, dans Dune ou Star Craft, il y a toujours trois camps… En fait, la triade est une forme de pouvoir particulièrement instable, et cette instabilité rend le gameplay MMO intéressante. Pour faire simple, c’est une forme de pierre/feuille/ciseau.

Dans WinThatWar!, chaque cartel présente une vision différente de son monde idéal. En apparence, chacun œuvre pour des objectifs louables, mais derrière les slogans se cachent des motivations capitalistes inhumaines.

Il y a Atlas Corp., élitiste, directe et agressive ; N.A.S.C.A, conglomérat de pseudo-humanistes retors ; et enfin le Jet Blum Consortium, des pionniers de l’espace qui mettent en valeur le mérite des travailleurs pour mieux les exploiter. Chacun ici dans le studio possède sa faction préférée. Moi, c’est Blum.

A l’heure de l’Early Access, le fait qu’il y ait trois factions n’a pas encore toute son importance, puisqu’elles ne représentent jusque là qu’une couleur d’équipe. Cependant, lorsque l’on aura atteint nos objectifs pour la V1.0, chaque faction devrait bénéficier de bonus, et à plus long terme d’unités spécifiques à sa spécialité : la facilité d’extraction de ressources chez Blum, la puissance des armes chez Atlas, et la rapidité voire la furtivité chez Nasca.

Enfin, à chaque faction est associée une identité musicale. La musique, composée par Bikini Machine, est entièrement procédurale, et s’adapte en temps réel aux événements de la carte. Quand deux factions s’affrontent, leurs deux couleurs musicales se mélangent, et le thème de votre camp est joué en mineur lorsque les combats tournent en votre défaveur.

Stratégie en temps réel et MMO… Comment cela se passe au niveau des serveurs par exemple ? Avez-vous prévu large ?

Notre techno serveur est conçu pour pouvoir gérer plusieurs dizaines de milliers de joueurs en simultané. Nous avons fat des tests en ce sens. Mais la particularité de notre jeu, c’est l’usage généralisé du peer-to-peer, une première pour un MMO. Quand vous êtes connectés en vue territoire, l’essentiel des données sont échangées en peer-to-peer, et la simulation est calculée uniquement sur les PC des joueurs. Cela nous épargne d’importants frais d’infrastructures. Les serveurs sont seulement là pour le gameplay planétaire, la persistance et la lutte anti-triche.

Dans les vidéos que l’on a pu voir du jeu, on aime aussi son style graphique très « SF des années 50/60 ». Pourquoi ce choix ?

C’est une direction artistique qui a germé dans le cerveau de Sylvain. Nous étions fatigués des jeux de science fiction moderne (« Cold Sci-Fi » à la Star Craft ou plus récemment Endless Space…) On avait envie d’un jeu où les objets de l’univers nous paraissent humains, chaleureux, familiers. Le rétrofuturisme crée un univers coloré, avec des lasers néons, des bulles d’énergie… Il nous permet aussi de créer tout un tas de mécaniques de jeu délirantes, qui viendront bientôt grossir le gameplay du jeu. C’est une position d’équilibriste entre le cartoon et le réalisme que Nico et Sylvain parviennent très bien à conserver, à chaque nouveau concept d’unité. On est ravis que cela vous plaise !

Avez vous été inspirés par d’autres titres (jeux, cinéma ou par la littérature SF) ? Si oui, pouvez-vous citez vos sources d’inspiration ou coups de cœur ?

Bien sûr ! Beaucoup de joueurs notent l’empreinte de Supreme Commander et Dune 2 (pour les plus vieux d’entre eux…) Ce sont les deux titres qui nous ont le plus fortement inspirés, mais nous nous nourrissons de l’influence de tous les RTS : StarCraft, Age Of Empire, Homeworld, Company Of Heroes

Dans le cinéma, nous avons étudié l’esthétique de films comme Brazil, Retour vers le Futur, le Cinquième Elément et surtout Forbidden Planet, un vieux nanard oublié. D’ailleurs, le premier flyer que nous avons distribué en salon était une parodie de l’affiche originale de ce film.

Le film culte « Planète Interdite », ou une rare occasion que vous aurez de voir Leslie Nielsen sans ses cheveux blancs ^^

Depuis ses origines, WtW a connu quelques évolutions. Quelles sont les plus significatives ?

La première était l’arrivée de Sylvain début 2014. Jusque là, les bâtiments étaient des cubes. A son arrivée, il a changé les couleurs, et transformé ces place-holders en cylindres ! Changement symbolique, mais qui introduisait la direction artistique rétrofuturiste.

Deuxième évolution : fin 2015 / début 2016, avec le recrutement de l’équipe actuelle. Le nouveau game-designer a tout repris de zéro, et l’arrivée du concept-artiste a également fait table rase des nombreux objets déjà modélisés.

Troisième évolution : mi 2016. Nous avons simplifié le design du jeu, et en même temps, nous avons revu son identité visuelle : changement de logo et des contenus de com…

Enfin à l’automne 2016, l’arrivée de la campagne en ligne enfin (à peu près) fonctionnelle a rendu notre rêve tangible après plusieurs années de développement.

Aujourd’hui, l’équipe est montée en compétence, et les premiers problèmes d’organisation sont surmontés. Nous sommes armés pour aller jusqu’au bout, et la sortie de notre early-access sur Steam marque la dernière étape importante que l’on vient de franchir.

« No Man’s Sky« , ou aussi le premier projet (abandonné depuis) de Mass Effect Andromeda… Bientôt « Star Citizen« , ou encore plus proche « Win That War !« … Est-ce que, désormais, la méthode procédurale est devenue incontournable pour les jeux de SF ?

Nous voyons surtout le procédural comme une façon de créer un univers cohérent : chaque territoire, de chaque planète, est unique et cette part d’imprévu fait partie de la promesse faite aux joueurs. Fini la répétitivité de jouer toujours sur les mêmes cartes. Bon ok : notre génération de territoire doit encore être améliorée, et nous travaillons déjà à l’ajout d’un troisième biome, mais l’idée c’est bien d’obtenir des cartes qu’on a plaisir à explorer, pour y trouver ressources rares, flore ou faune extraterrestres, drones abandonnés et hostiles…

Faire un MMO à l’échelle de WinThatWar en se reposant sur du Level Design old-school ne serait juste pas faisable pour la taille de notre équipe.

Cela permet aussi d’obtenir un jeu qui se charge plus vite et consomme moins de ressources graphiques. S’il fallait récupérer, depuis le disque, les textures et la géométrie des centaines de kilomètre carrés d’un territoire, à chaque fois que l’on souhaite basculer de la vue planétaire à la vue tactique, le jeu serait injouable.

On parle d’une sortie sur PC, mais d’autres supports ont-ils été envisagés ?

A l’heure actuelle, nous nous concentrons sur la version PC/Windows qui représente la très grande majorité des joueurs. Notre prochain moteur (et donc nos prochains jeux) sera optimisés pour Linux et Mac, et nous porterons peut-être également WinThatWar! dessus. Porter WinThatWar! actuellement ne serait hélas pas rentable.

Pour le moment, aucun portage console ou tablette n’est à prévoir. L’adaptation à ces interfaces nécessiterait de revoir en profondeur le gameplay du jeu. Une application compagnon pour suivre le déroulement d’une campagne depuis son téléphone ou un navigateur pourrait voir le jour.

D’ailleurs, si le jeu est entré en beta, avez vous une idée précise de sa date de sortie officielle ?

Il reste encore plusieurs mois de travail pour aboutir à une v1.0. Mais notre game-design évolue aussi en permanence en fonction des retours que nous avons des joueurs. (Attention, on prend les avis et les idées en compte, mais tout ne va pas être remis en question à cause d’un seul commentaire). On ne peut pas prévoir une date précise et en même temps écouter notre communauté.

Dans tous les cas, les ajouts de contenus se poursuivront en déploiement continu, même après la V1.0.

Le modèle économique du jeu a t-il été défini ? Free-to-play ou jeu payant ? Démat’ ou version physique ?

Win That War! n’a pas été pensé comme un jeu à micro-transactions. Et nous avons donc préféré le modèle payant classique : 20€ donne accès à nos serveurs et à toutes les fonctionnalités du jeu. L’essentiel du marché est aujourd’hui dématérialisé, et la distribution boîte est difficile pour les petits studios. Mais si un éditeur nous propose une version DVD, nous accepterons !

Que reste t-il à améliorer, à changer dans le jeu ?

Dans les prochains mois, les joueurs verront apparaître de nouveaux biomes, de nouveaux bâtiments et véhicules dans l’arbre de tech (furtivité, hacking, transport et armement étrange), des mécaniques PVE… Il reste encore un peu de polish (HUD, effets de construction, bords de map), et un travail constant sur l’optimisation du jeu pour le rendre toujours plus performant.

Nous déployons un patch chaque semaine. Le premier arrive aujourd’hui avec son lot de nouveautés, de corrections de bugs et d’optimisations.

La durée de vie du jeu est pour le moment encore assez courte (les joueurs ont passé en moyenne 2h16 dans les 5 premiers jours qui ont suivi le lancement de l’accès anticipé). Mais il est déjà fun et les retours sont encourageants.

Enfin, pensez-vous déjà à « l’après WtW » ? Autrement dit, d’autres projets pour le studio ?

Nous avons pas mal de concepts dans les cartons, et quelques idées de posées pour le prochain jeu. Mais c’est pour le moment secret ! Les artistes poseront les bases de la DA comme ils l’ont fait pour WinThatWar!, ce qui ne veux pas dire qu’on restera dans le rétro-futurisme.

Par contre, cette fois-ci, nous partons sur un jeu plus simple à produire. Son développement devrait prendre entre 8 et 12 mois, tout en nous permettant de poursuivre les ajouts de contenus et le support sur WTW.

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