Le groupe Bayard Presse et la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) viennent de publier (et vont distribuer largement) une plaquette de prévention contre les addictions. Le jeu vidéo y est mentionné en bonne place parmi les comportements à risque. Et… Il y a tant à dire !
Distribué à 1,5 millions de jeunes lecteurs
Bayard Presse (Images Doc, J’Aime Lire) et la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) viennent donc de publier une plaquette sur les addictions. Jeux Vidéo, Alcool, Tabac… Je Dis NON aux addictions. Le titre est éloquent ! Le ton est donné : le jeu vidéo (et pas la TV ou les mobiles) sera placé au même niveau que l’alcool et la clope, sur l’échelle des addictions pouvant toucher nos petites têtes blondes.
Ce livret de 16 pages sera distribué à 1,5 million de lecteurs d’Images Doc et J’aime Lire.
Sur le site du Gouvernement, la Milceda précise que :
« En 2014, l’enquête PELLEAS indiquait que 96% des 10-14 ans avaient joué à des jeux vidéo dans les 6 derniers mois et que, sur un panel de 2 000 élèves de la région parisienne, 1 sur 8 avait un usage problématique des jeux vidéo »
Sources : enquêtes EnCLASS 2018 et PELLEAS 2014, Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies
Oui, vous avez bien lu : des chiffres datant de 2014, rapportés par un observatoire des drogues et des toxicomanies. Ce qui explique sans doute le vocabulaire particulièrement anxiogène utilisé par la Milceda : incitation à consommer, addiction, excès… Les mots utilisés ici sont habituellement employés pour parler de drogues…
1 jeune sur 8 ? Peut-on en déduire que 7 sur 8 jouent sans aucun problème ? 96% ont joué à un jeu vidéo dans les 6 derniers mois ? Ce n’est pas la même chose que « jouent tous les jours à des jeux vidéo » ! Dans quelle mesure peut-on se fier à ces chiffres ?
Si vous voulez vous faire un avis par vous même, la plaquette est consultable ici.
Y a t-il un risque pour mon enfant/ado ?
À en croire cette plaquette, c’est indéniable ! Le jeu vidéo, c’est le mal ! D’ailleurs comme relevé plus haut, vous remarquerez que la plaquette le mentionne au même niveau que la drogue, l’alcool ou le tabac. Des addictions qui, contrairement au jeu vidéo, peuvent conduire jusqu’à la mort.
Si votre enfant se trouve une passion pour le jeu vidéo, il se peut qu’il y passe effectivement beaucoup de temps. Et l’on a pu parfois voir des comportements excessifs (mais qui, reconnaissons-le, restent marginaux). Mais si l’on est objectif, la remarque ne vaut pas uniquement pour le jeu vidéo. Un ado ou un enfant peut aussi être accro à la TV, à Internet, aux réseaux sociaux (parfois beaucoup plus dangereux). Il peut aussi s’isoler dans n’importe quelle passion : le cinéma, la musique, le football, la danse, les scarabées… Ou les jeux d’argent (Casinos) pour les jeunes adultes. Pourquoi stigmatiser alors le jeu vidéo plus que n’importe quel autre loisir ?
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La plaquette fait évidemment écho à la reconnaissance, par l’OMS l’an passé, du jeu vidéo comme un trouble du comportement. Aussi, il est bon de rappeler que l’étude qui a précédé cette décision n’a pas fait consensus. Parmi les médecins, spécialistes et psychiatres consultés dans le cadre de l’étude préalable, beaucoup n’ont pas reconnu ce trouble. L’OMS a tout simplement fait fi de leurs observations et remarques. Certains accuseront même l’OMS d’avoir pris sa décision avant même la fin de l’enquête.
Le jeu vidéo est-il mauvais ?
Si l’on s’en tient à ce « bourrage de crâne », enfants et parents doivent-ils craindre, et fuir le jeu vidéo ? Car il n’est pas objectif de ne considérer le jeu vidéo que sous ses aspects négatifs. À l’instar du cinéma, de la musique ou de la littérature, le jeu vidéo est avant tout un produit culturel. Parmi les plus importants aujourd’hui en France, puisqu’il a généré en 2018 plus de 4,8 milliards d’euros. Dans l’économie, ça commence à peser !
« Ce ne sont pas tes jeux vidéo qui te feront gagner ta vie ! » Les gens de ma génération ont entendu cette réflexion de nombreuses fois. Pourtant, aujourd’hui, c’est faux ! Le secteur du jeu vidéo recrute, et pas qu’un peu. Graphistes, scénaristes, programmateurs, communication… Les filières sont (très) nombreuses, pour des débouchés qui emmèneront votre enfant dans des studios Français, mais aussi à l’étranger. Et je ne parle pas ici de l’eSport, au développement exponentiel.
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Diaboliser le jeu vidéo, c’est aussi faire l’impasse sur le rôle qu’il peut aussi parfois jouer en matière de rééducation, ou de socialisation d’enfants porteurs de handicaps. Et lorsque des maisons de retraite utilisaient la Wii pour faire travailler la motricité de leurs résidents, disait-on que les personnes âgées étaient « accro » au bowling de Wii-Sport ?
Le jeu vidéo est responsable de l’échec scolaire, de la violence, voire pire. C’est le message souvent relayé par les médias… Mais, n’est ce pas tirer des conclusions un peu hâtives ? N’est-ce pas oublier un peu vite tous ces titres à valeurs pédagogiques ? Comment pourrais-je cautionner de tels propos, moi qui, au lycée, ai littéralement boosté mon niveau d’Anglais en jouant à des RPG ? Et des jeux comme Assassin’s Creed ou dernièrement Ancestors m’ont donné envie d’ouvrir des bouquins d’Histoire…
Les parents ont un rôle important à jouer
Le meilleur moyen de protéger un enfant face aux écrans (et pas uniquement des jeux vidéo) n’est pas de lui interdire, mais de l’accompagner !
Le responsable d’un comportement à risque n’est donc pas le jeu vidéo lui-même, mais le ou les parent(s). Car qu’on se le dise, une console n’est pas une nounou. Et la plupart des comportements à problèmes sont générés par des situations où l’enfant est bien souvent livré à lui-même. Il ne fait rien d’autre, ne sort plus ? Mais quelle alternative lui proposez-vous ?
L’accompagnement par les parents débute dès l’achat du jeu, avec un contrôle de la classification, appelée chez nous PEGI. Le jeu est-il adapté à un enfant de cet âge ? Un éditeur de jeu vidéo a l’obligation de répondre à cette question, et ce n’est pas pour rien que ce macaron est obligatoire sur la boite de chaque logiciel.
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Mais l’accompagnement de l’enfant, c’est aussi jouer avec lui. Vous ne connaissez pas les jeux vidéo, alors intéressez-vous. Plus qu’un danger ou un rival, le jeu vidéo est avant tout un média qui ne demande qu’à être partagé.
Et puis, bien entendu, le rôle des parents est aussi de fixer des règles. Notamment d’instaurer une limite de temps de jeu… Et surtout de s’y tenir. Votre enfant n’est pas bête : avec les bonnes explications, il comprendra.
Oui mais… Les jeux vidéo sont violents !
Et voici un autre aspect du jeu vidéo, souvent mis en avant par des sources qui, visiblement, n’y connaissent pas grand chose. Oui, il y a des jeux vidéo violents, mais pas que ! Limiter le jeu vidéo à GTA ou Mortal Kombat, c’est comme affirmer qu’il n’y a que des films de guerre au cinéma. Vous le savez : il existe aussi des comédies, des romances, des films d’aventure, d’humour, des films d’auteur… Et bien, le jeu vidéo, c’est pareil !
En 2018, on considérait que l’âge moyen du joueur était de 38 ans. Alors forcément, on trouvera des titres interdits aux moins de 18 ans. Comme pour les films au cinéma ! Mais les jeux classifiés sous la barre des 16 et 12 ans restent majoritaires. Et le bien culturel le plus vendu depuis des années reste Fifa, un simulateur de football.
Comme écrit plus haut, le rôle du parent est aussi de veiller à procurer à son enfant des jeux vidéo adaptés à son âge. Une maman me disait dernièrement avoir été choquée par la violence de Gran Theft Auto V, balancée aux yeux de son gamin de 12 ans. Je lui répondais que j’étais choqué, pour ma part, qu’elle laisse l’accès à un jeu interdit aux moins de 18 ans à son enfant. Laissez vous votre enfant regarder des films d’horreur à la TV ?
Ce n’est pas la première fois
Souffrant d’une profonde méconnaissance du jeu vidéo (et de chiffres de 2014 qui auraient mérité une mise à jour), l’enquête de la Mildeca surfe sans surprise sur le bashing dont le jeu vidéo fait souvent l’objet, de la part des médias non spécialistes. Encore plus depuis que l’OMS a reconnu l’addiction au jeu vidéo comme une maladie, il y a quelques mois…
Mais casser du sucre sur un média que l’on ne connait pas n’est pas nouveau. Les plus anciens s’en souviendront : autrefois, le rock’n roll était la « musique du diable » qui allait faire de vous un « blouson noir » (un voyou)… Le Walkman rendait sourd… Et ceux qui sont encore plus anciens se souviendront aussi qu’autrefois, il était interdit de lire des BD, considérées comme sources d’abrutissement. Toute activité incomprise par la génération précédente a toujours fait l’objet de désinformation. Aujourd’hui, c’est le jeu vidéo qui trinque !
À l’avenir, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives devra publier une étude avec de vrais chiffres, de vraies observations… Un bilan s’appuyant à la fois sur les aspects positifs et négatifs… Tout en arrêtant de confondre le jeu vidéo et les écrans de manière générale (quid des émissions de TV ou des réseaux sociaux dans tout cela ?)… Mais peut-être surtout confier cette mission à des personnes qui connaissent vraiment le jeu vidéo.
Elle devra surtout arrêter de comparer le jeu vidéo à la drogue, au tabac ou à l’alcool. Qui sont, eux, de vraies addictions, des dangers conduisant à des maladies, voire à la mort. Avec son style BD jeune public, cette plaquette pourrait être amusante si elle ne faisait pas que s’appuyer sur la peur des parents, jouant la carte de la méconnaissance et de la désinformation pour véhiculer un message maladroitement démagogique.
Chez le jeune public, le risque existe, sans pour autant représenter la grande majorité de ce qu’est le jeu vidéo. Et la solution n’est pas de fuir le problème, mais d’accompagner les plus jeunes en se positionnant comme les adultes que nous sommes.