Le concept de Lynn & The Spirits of Inao : un plate-formes 2D dans lequel l’héroïne peut basculer du jour à la nuit à travers les niveaux. Le projet a lui aussi basculé dans l’obscurité ce mercredi, suite à une polémique autour de stagiaires se disant « exploités » ! Retour sur cette vague de témoignages, interview de Laureine qui a été la première à dénoncer ses conditions de stage, fin de la campagne Kickstarter et « ce que dit la loi », on fait le point avec vous…
Le jeu développé par le studio Bloomylight avait tout de plaisant : graphismes et musiques faisant penser aux œuvres d’Hayao Miyazaki, jeu de plate-formes de style rétro 2D qui semblait agréable… Comme tant de médias, il nous avait séduits au point d’aller décrocher une interview de son créateur.
Seulement, à en croire les commentaires et les réactions (sur notre site et sur les réseaux sociaux) qui ont suivi, il semblait que l’on ne nous ait pas tout dit.
Le premier commentaire qui tombe sur notre site annonce la couleur :
Un premier témoignage publié sur Facebook, et relayé sur Twitter en appelle un autre, puis un autre, et encore un autre… Les langues se délient, et par effet « boule de neige », l’affaire prend très vite de l’ampleur. Certes les étudiants stagiaires n’ont pas été payés, mais ils dénoncent aussi le fait de n’être crédités à aucun moment dans la longue présentation sur la page Kickstarter.
Davantage d’explications arrivent via Twitter, et l’on nous communique assez rapidement le courrier de Laureine, qui circule et fait causer sur toute la toile :
Lire aussi notre interview un peu plus bas
Un cas isolé ? C’est ce que l’on aurait pu penser si de nombreux témoignages n’avaient pas suivi… Sur Twitter, de nombreux messages viennent appuyer ces propos, en en reprenant les points principaux : stagiaires non payés, entassés dans un appart’ dont les meubles ont été poussés pour créer un open-space de fortune, équipe soit-disant inexistante, chef de projet absent… La page de @sylvainsarrailh est riche de témoignages.
Qui est réellement Bloomylight ? Pour info, si l’on effectue des recherches concernant l’entreprise (à voir par exemple ici), la société affiche un capital social de 251.100€. On s’étonne en revanche que, pour un studio qui développe un jeu vidéo, la tranche d’effectif est de 0 salarié (unités ayant eu des salariés au cours de l’année de référence, mais plus d’effectif au 31 décembre).
Interview : Laureine, étudiante, témoigne.
Tout est parti du courrier posté sur internet, et signé de Laureine, étudiante en cinéma d’animation et passionnée par le jeu vidéo. Son témoignage a eu pour réponse de nombreuses réactions, de stagiaires disant avoir vécu la même expérience. Elle témoigne…
Salut Laureine. Tout d’abord, peux-tu nous rappeler quand s’est déroulé ton stage ?
J’ai effectivement effectué un stage chez Bloomylight Studio l’été dernier, en juin, juillet et septembre, avec une pause en août pour travailler et payer mes études.
Tu as donc accepté de faire un stage non rémunéré ?
D’entrée, le responsable m’a clairement dit que je ne serais pas payée. Mais j’ai accepté quand même, car le jeu me semblait super bien, et que c’est assez rare de pouvoir travailler dans un studio indépendant. De plus, le jeu était en 2D et j’adore cela. J’ai accepté par passion et par envie, j’ai même accepté de faire trois mois de stage au lieu de deux, c’était pour moi une bonne expérience professionnelle.
Pourtant, l’argent a été mentionné à un moment ?
Oui, à la fin de mon stage : quand on m’a demandé de signer les papiers de non-divulgation du projet (une pratique courante dans le jeu vidéo), j’ai eu la surprise de voir au milieu une feuille, disant que j’avais été payée. On me demandait de signer un document disant que j’avais perçu cet argent. Ce qui est faux.
Il a été dit sur les réseaux que le trailer de Lynn & The Spirits of Inao, présenté entre autres sur le Kickstarter, n’était qu’une animation ?
Je suis bien placée pour en parler, puisque j’ai monté la vidéo du Kickstarter, on a travaillé dessus avec cinq autres étudiants (même si elle a été complétée et finie après mon stage). On nous demandait une animation, on nous donnait un décor sur Photoshop, un coup d’After Effect pour créer l’animation, un semblant de HUD… En fait, le trailer n’est pas un « game footage », mais du « gameplay » fait sur After Effect…
Pourtant, il y avait bien une équipe derrière ?
Il n’y a aucun programmeur dans la team, aucun auteur… Il y a le responsable, sa sœur et le compositeur des musiques. Les deux autres personnes évoquées dans le Kickstarter étaient là au début, mais ont quitté le projet.
Dans quelles conditions, et dans quel état d’esprit s’est terminé ton stage ?
J’ai terminé deux semaines avant la date de fin de mon stage. J’étais épuisée, déprimée. Quand je me levais le matin, je n’avais pas envie d’y retourner, et j’ai donc été mise en arrêt de travail. Je crois d’ailleurs que c’est le cas d’autres stagiaires, qui se sont aussi retrouvés en arrêt.
Moralement, j’étais déçue et honteuse d’avoir accepté de telles conditions. Une chose est sûre : je ne prendrai plus de travail non rémunéré !
Quand on voit les témoignages de tous ces étudiants, on a du mal à comprendre pourquoi les écoles n’ont pas réagi, ne sont pas intervenus. Elles doivent protéger leurs stagiaires ?
Je ne pourrai parler que de mon cas, que de mon école, qui ne connaissait pas ce studio qui paraissait très honnête sur le papier. Quand j’ai été mise en arrêt maladie, j’ai expliqué la situation, et il y a eu un vrai dialogue, mon école m’a soutenue à fond, me proposant même l’aide de l’avocat de l’établissement. J’ai été soutenue, et le studio est désormais blacklisté !
Il faut aussi comprendre que, dans mon école, il y a une personne qui a été affectée pour gérer les stages. Mais lorsque j’ai signé, elle n’était pas présente. J’ai effectué mon stage en été, il n’y avait plus personne pendant les vacances.
Tu es la seule de l’établissement à avoir vécu cette mauvaise expérience ?
Trois élèves de la même promo ont fait un stage plus tard, en février dernier. Eux aussi étaient de vrais passionnés. Sachant que j’étais allé chez Bloomylight, l’un d’entre eux est venu me voir pour me demander comment cela s’était passé. J’ai dit la vérité, mais ils ne m’ont pas cru. Ils s’y sont cassé les dents, et doivent maintenant faire un stage de récupération.
Ta lettre a été beaucoup relayée sur les réseaux. Tu as eu beaucoup de retours de ton côté ?
Énormément. Quand j’ai posté mon texte, ça a « popé » de partout, sur tous les réseaux. Nous sommes une quinzaine de stagiaires à avoir vécu cette expérience. On ne se connaissait pas, mais on a découvert que l’on partageait la même histoire.
Tu as aussi parlé de faire « le nécessaire ». Parles-tu d’action en justice ?
Je parlais tout à l’heure de l’avocat de l’école, mais j’ai aussi un avocat dans la famille. Pour le moment, je reste concentrée sur mes études (je termine ma dernière année), mais ensuite, je réunis un maximum d’éléments, de papiers, d’informations, pour voir ce qu’il est possible de faire… y compris d’un point de vue juridique !
Dans quel état d’esprit es-tu aujourd’hui ?
Je termine mon cursus en cinéma d’animation. Malgré cette expérience, je reste motivée, la passion l’emporte !
La fin…
À en croire le site Kicktraq, qui permet de suivre l’évolution du trafic de dons sur Kickstarter, le nombre de donateurs est en chute libre depuis quelques jours, depuis que les premiers témoignages ont été édités…
Pour rappel, pour financer le développement du jeu, le studio demandait la modique somme de 53.000€ via sa campagne Kickstarter. À ce jour, à quinze jours de la fin de la campagne, le compteur affichait 37.628€.
Ce mercredi après-midi, le studio décidait de stopper la campagne Kickstarter de Lynn & The Spirits of Inao. Et on pouvait constater que le compteur était figé à 37.056€ : oui ! Les donateurs peuvent reprendre leur argent sur Kickstarter !
Mercredi après midi : réaction de Bloomylight Studio
Nous avons cherché à en savoir plus, notamment en contactant l’agence qui s’occupe de la communication du jeu. Et pas plus d’informations de leur côté : visiblement, ils ont découvert « l’affaire » en même temps que nous tous.
Au moment de publier cet article, aucun signe de vie du studio, à qui que ce soit. Pour seule réaction de Bloomylight, un post sur les réseaux sociaux :
Stagiaires non-payés ? Ce que dit la loi :
Quel que soit l’employeur, concernant les stagiaires, la loi est claire :
La loi le dit clairement : le nombre de stagiaires doit représenter 15 % de l’effectif dans un organisme d’accueil d’au moins 20 salariés, trois stagiaires maximum si l’effectif est inférieur à 20 salariés… S’il s’agit de périodes de formation en milieu professionnel (contrat d’alternance ou accueil des élèves des établissements d’enseignement secondaire par exemple), les quotas sont respectivement portés à 20 % de l’effectif ou 5 stagiaires accueillis simultanément.
Par ailleurs, chaque tuteur ne peut suivre que 3 stagiaires au maximum au cours de la même période.