Le concept de Lynn & The Spirits of Inao : un plate-formes 2D dans lequel l’héroïne peut basculer du jour à la nuit à travers les niveaux. Le projet a lui aussi basculé dans l’obscurité ce mercredi, suite à une polémique autour de stagiaires se disant « exploités » ! Retour sur cette vague de témoignages, interview de Laureine qui a été la première à dénoncer ses conditions de stage, fin de la campagne Kickstarter et « ce que dit la loi », on fait le point avec vous…

Le jeu développé par le studio Bloomylight avait tout de plaisant : graphismes et musiques faisant penser aux œuvres d’Hayao Miyazaki, jeu de plate-formes de style rétro 2D qui semblait agréable… Comme tant de médias, il nous avait séduits au point d’aller décrocher une interview de son créateur.

Seulement, à en croire les commentaires et les réactions (sur notre site et sur les réseaux sociaux) qui ont suivi, il semblait que l’on ne nous ait pas tout dit.

Le premier commentaire qui tombe sur notre site annonce la couleur :

Mr Tollari raconte aux stagiaires, qu’ils seront dans une équipe de 5 salariés passionnés lors de leurs entretiens. En réalité, MR David Tollari n’a aucun salarié. Il prend des stagiaires depuis 3 ans sans les rémunérer. IL y a toujours entre 3-4 stagiaires au « studio ». Son studio, qui est en réalité son appartement de 20 m². De plus il est surveillant dans un collège, et n’est presque jamais présent au studio, les stagiaires gèrent, et font l’entièreté du jeu à sa place sans être cité dans le kickstarter…

Un premier témoignage publié sur Facebook, et relayé sur Twitter en appelle un autre, puis un autre, et encore un autre… Les langues se délient, et par effet « boule de neige », l’affaire prend très vite de l’ampleur. Certes les étudiants stagiaires n’ont pas été payés, mais ils dénoncent aussi le fait de n’être crédités à aucun moment dans la longue présentation sur la page Kickstarter.

Davantage d’explications arrivent via Twitter, et l’on nous communique assez rapidement le courrier de Laureine, qui circule et fait causer sur toute la toile :

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Lire aussi notre interview un peu plus bas

Un cas isolé ? C’est ce que l’on aurait pu penser si de nombreux témoignages n’avaient pas suivi… Sur Twitter, de nombreux messages viennent appuyer ces propos, en en reprenant les points principaux : stagiaires non payés, entassés dans un appart’ dont les meubles ont été poussés pour créer un open-space de fortune, équipe soit-disant inexistante, chef de projet absent… La page de @sylvainsarrailh est riche de témoignages.

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Qui est réellement Bloomylight ? Pour info, si l’on effectue des recherches concernant l’entreprise (à voir par exemple ici), la société affiche un capital social de 251.100€. On s’étonne en revanche que, pour un studio qui développe un jeu vidéo, la tranche d’effectif est de 0 salarié (unités ayant eu des salariés au cours de l’année de référence, mais plus d’effectif au 31 décembre).


Interview : Laureine, étudiante, témoigne.

Tout est parti du courrier posté sur internet, et signé de Laureine, étudiante en cinéma d’animation et passionnée par le jeu vidéo. Son témoignage a eu pour réponse de nombreuses réactions, de stagiaires disant avoir vécu la même expérience. Elle témoigne…

Salut Laureine. Tout d’abord, peux-tu nous rappeler quand s’est déroulé ton stage ?

J’ai effectivement effectué un stage chez Bloomylight Studio l’été dernier, en juin, juillet et septembre, avec une pause en août pour travailler et payer mes études.

Tu as donc accepté de faire un stage non rémunéré ?

D’entrée, le responsable m’a clairement dit que je ne serais pas payée. Mais j’ai accepté quand même, car le jeu me semblait super bien, et que c’est assez rare de pouvoir travailler dans un studio indépendant. De plus, le jeu était en 2D et j’adore cela. J’ai accepté par passion et par envie, j’ai même accepté de faire trois mois de stage au lieu de deux, c’était pour moi une bonne expérience professionnelle.

Pourtant, l’argent a été mentionné à un moment ?

Oui, à la fin de mon stage : quand on m’a demandé de signer les papiers de non-divulgation du projet (une pratique courante dans le jeu vidéo), j’ai eu la surprise de voir au milieu une feuille, disant que j’avais été payée. On me demandait de signer un document disant que j’avais perçu cet argent. Ce qui est faux.

Il a été dit sur les réseaux que le trailer de Lynn & The Spirits of Inao, présenté entre autres sur le Kickstarter, n’était qu’une animation ?

Je suis bien placée pour en parler, puisque j’ai monté la vidéo du Kickstarter, on a travaillé dessus avec cinq autres étudiants (même si elle a été complétée et finie après mon stage). On nous demandait une animation, on nous donnait un décor sur Photoshop, un coup d’After Effect pour créer l’animation, un semblant de HUD… En fait, le trailer n’est pas un « game footage », mais du « gameplay » fait sur After Effect…

Pourtant, il y avait bien une équipe derrière ?

Il n’y a aucun programmeur dans la team, aucun auteur… Il y a le responsable, sa sœur et le compositeur des musiques. Les deux autres personnes évoquées dans le Kickstarter étaient là au début, mais ont quitté le projet.

Dans quelles conditions, et dans quel état d’esprit s’est terminé ton stage ?

J’ai terminé deux semaines avant la date de fin de mon stage. J’étais épuisée, déprimée. Quand je me levais le matin, je n’avais pas envie d’y retourner, et j’ai donc été mise en arrêt de travail. Je crois d’ailleurs que c’est le cas d’autres stagiaires, qui se sont aussi retrouvés en arrêt.

Moralement, j’étais déçue et honteuse d’avoir accepté de telles conditions. Une chose est sûre : je ne prendrai plus de travail non rémunéré !

Quand on voit les témoignages de tous ces étudiants, on a du mal à comprendre pourquoi les écoles n’ont pas réagi, ne sont pas intervenus. Elles doivent protéger leurs stagiaires ?

Je ne pourrai parler que de mon cas, que de mon école, qui ne connaissait pas ce studio qui paraissait très honnête sur le papier. Quand j’ai été mise en arrêt maladie, j’ai expliqué la situation, et il y a eu un vrai dialogue, mon école m’a soutenue à fond, me proposant même l’aide de l’avocat de l’établissement. J’ai été soutenue, et le studio est désormais blacklisté !

Il faut aussi comprendre que, dans mon école, il y a une personne qui a été affectée pour gérer les stages. Mais lorsque j’ai signé, elle n’était pas présente. J’ai effectué mon stage en été, il n’y avait plus personne pendant les vacances.

Tu es la seule de l’établissement à avoir vécu cette mauvaise expérience ?

Trois élèves de la même promo ont fait un stage plus tard, en février dernier. Eux aussi étaient de vrais passionnés. Sachant que j’étais allé chez Bloomylight, l’un d’entre eux est venu me voir pour me demander comment cela s’était passé. J’ai dit la vérité, mais ils ne m’ont pas cru. Ils s’y sont cassé les dents, et doivent maintenant faire un stage de récupération.

Ta lettre a été beaucoup relayée sur les réseaux. Tu as eu beaucoup de retours de ton côté ?

Énormément. Quand j’ai posté mon texte, ça a « popé » de partout, sur tous les réseaux. Nous sommes une quinzaine de stagiaires à avoir vécu cette expérience. On ne se connaissait pas, mais on a découvert que l’on partageait la même histoire.

Tu as aussi parlé de faire « le nécessaire ». Parles-tu d’action en justice ?

Je parlais tout à l’heure de l’avocat de l’école, mais j’ai aussi un avocat dans la famille. Pour le moment, je reste concentrée sur mes études (je termine ma dernière année), mais ensuite, je réunis un maximum d’éléments, de papiers, d’informations, pour voir ce qu’il est possible de faire… y compris d’un point de vue juridique !

Dans quel état d’esprit es-tu aujourd’hui ?

Je termine mon cursus en cinéma d’animation. Malgré cette expérience, je reste motivée, la passion l’emporte !


La fin…

lynn kicktraq

À en croire le site Kicktraq, qui permet de suivre l’évolution du trafic de dons sur Kickstarter, le nombre de donateurs est en chute libre depuis quelques jours, depuis que les premiers témoignages ont été édités…

Pour rappel, pour financer le développement du jeu, le studio demandait la modique somme de 53.000€ via sa campagne Kickstarter. À ce jour, à quinze jours de la fin de la campagne, le compteur affichait 37.628€.

Ce mercredi après-midi, le studio décidait de stopper la campagne Kickstarter de Lynn & The Spirits of Inao. Et on pouvait constater que le compteur était figé à 37.056€ : oui ! Les donateurs peuvent reprendre leur argent sur Kickstarter !


Mercredi après midi : réaction de Bloomylight Studio

Nous avons cherché à en savoir plus, notamment  en contactant l’agence qui s’occupe de la communication du jeu. Et pas plus d’informations de leur côté : visiblement, ils ont découvert « l’affaire » en même temps que nous tous.

Au moment de publier cet article, aucun signe de vie du studio, à qui que ce soit. Pour seule réaction de Bloomylight, un post sur les réseaux sociaux :

Tout d’abord, merci à tous ceux qui ont soutenu Lynn and the Spirits of Inao. Profondément touchés par les témoignages qui se sont multipliés ces derniers jours et conscients des erreurs du passé qui font aujourd’hui du tort au jeu, nous faisons le choix difficile d’arrêter l’aventure ici. Devant la violence des propos qui nous sont adressés et les menaces proférées à l’encontre des membres de l’équipe nous devons donc mettre fin à ce projet initié en 2011. Il est regrettable qu’une poignée d’individus aient pu détruire le travail de tant de personnes et qu’ils aient dépenser autant d’énergie pour produire un acharnement d’une violence inouïe à l’encontre de notre équipe (…) Ces cinq dernières années à travailler sur Lynn and the Spirits of Inao furent une expérience inoubliable animée par la passion de créer un jeu de qualité et d’offrir une expérience nouvelle.

Stagiaires non-payés ? Ce que dit la loi :

Quel que soit l’employeur, concernant les stagiaires, la loi est claire :

Un employeur qui accueille un stagiaire étudiant doit lui verser une gratification horaire minimale, exonérée de cotisations sociales dans certaines conditions. Cette obligation s’applique aux entreprises, aux administrations publiques, aux collectivités territoriales, aux établissements de santé, aux associations ou à tout autre organisme d’accueil. Le stagiaire n’étant pas considéré comme un salarié, il ne s’agit ni d’un salaire, ni d’une rémunération, ni d’une indemnité. La gratification est due lorsque la présence du stagiaire dans l’organisme d’accueil est supérieure à 2 mois, soit l’équivalent de 44 jours (sur la base de 7 heures par jour), au cours de l’année d’enseignement (scolaire ou universitaire). Pour le calcul de la présence du stagiaire, ouvrant droit à gratification, 1 mois correspond à une présence effective de 22 jours, consécutifs ou non, et 7 heures de présence, consécutives ou non, comptent pour 1 jour.

La loi le dit clairement : le nombre de stagiaires doit représenter 15 % de l’effectif dans un organisme d’accueil d’au moins 20 salariés, trois stagiaires maximum si l’effectif est inférieur à 20 salariés… S’il s’agit de périodes de formation en milieu professionnel (contrat d’alternance ou accueil des élèves des établissements d’enseignement secondaire par exemple), les quotas sont respectivement portés à 20 % de l’effectif ou 5 stagiaires accueillis simultanément.

Par ailleurs, chaque tuteur ne peut suivre que 3 stagiaires au maximum au cours de la même période.